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futur, pourraient attirer de la péninsule voisine une immigration assez nombreuse que le partage du Maroc en deux zones rendrait peut-être difficile à assimiler. Mais, quels que soient les apports européens, la dimension et les caractères du pays nous assurent que son peuplement sera dû surtout à l’augmentation de l’élément indigène, qui cessera d’être fauché grâce aux ressources nouvelles, aux œuvres sanitaires qu’introduira le protectorat, grâce surtout à la paix française.

Un précédent, auquel il faut constamment ramener notre entreprise marocaine, confirme à cet égard les conclusions du raisonnement. L’Algérie, dont les parties utilisables sont sans doute un peu moins grandes et riches, contenait quelque 1 800 000 habitans au moment de la conquête. Aujourd’hui, ces indigènes sont 4 740 000 : à côté d’eux, quatre-vingts années de colonisation énergique n’ont implanté que 752 000 Européens (recensement de 1911). Et l’élément indigène continue à grandir. Aussi, alors qu’approche le centenaire de la prise d’Alger, les hommes dont le souci dépasse les statistiques évidemment flatteuses du commerce et du rendement des impôts, constatent-ils que le vrai problème algérien reste la conquête morale de la masse indigène. Le régime du protectorat se prête moins que la conquête algérienne à l’effort intensif de colonisation officielle qui a implanté en Algérie une grande partie de sa population française. De plus, la France du général Lyautey est moins capable que ne l’était celle du maréchal Bugeaud d’exporter des colons paysans. Tout concourt à montrer que l’essentiel de la question marocaine est dans l’évolution du peuple indigène dont les destinées nous incombent désormais.


On avait imaginé une solution élégante qui devait permettre de commencer cette évolution aux moindres frais, sans interventions directes, sans froissemens, c’est-à-dire en ménageant le mieux l’avenir à un rapprochement entre les deux races. Elle consistait à prendre en mains, avec toute la discrétion possible, le gouvernement du Sultan et à s’en servir pour réformer le pays par étapes prudemment calculées. C’est ce système qui, dans nos milieux coloniaux, a été appelé « la politique Makhzen. » Les circonstances diplomatiques imposaient