Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/811

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre la place de leur rêve. Demain peut-être ils dénonceront l’entreprise marocaine comme une vaste imposture. Aussi est-il bon de rappeler que ce n’est pas dans le matérialisme colonial, en vogue en même temps que tous les autres, qu’il faut l’envisager. Sans doute, pour peu qu’on l’aborde avec la sagesse virile du laboureur de La Fontaine, le Maroc assurera une large existence ou même la fortune à bon nombre de.Français. Mais c’est pour la nation et non pour les individus que nous sommes allés au Maroc. La France devait empêcher que la réforme nécessaire, inévitable de ce pays, devenu une enclave dans son empire africain, se fit sans elle et contre elle. Non seulement elle prévient la formation de forces adverses, mais elle peut trouver au Maroc des élémens qui grossiront plus tard le faisceau des forces nationales. Ainsi envisagée, l’entreprise marocaine ne peut être atteinte par des déceptions d’affaires ; l’objet qui doit inspirer toutes ses tendances et déterminer ses méthodes se précise : le problème marocain apparaît essentiellement comme un problème de politique indigène.


Sans doute les premières statistiques approximatives qu’a pu dresser le corps d’occupation semblent à première vue diminuer l’importance de cette question indigène. Le Maroc n’est pas la « fourmilière d’hommes » que d’aucuns y avaient vu de loin, dans le mirage des indigènes. Les « bureaux de renseignemens » évaluent à 3 millions environ la population de la zone française ; la zone espagnole n’a que quelques centaines de mille habitans.

Mais le nombre des habitans signifie peu de chose par lui-même : il s’agit de savoir s’il répond aux « possibilités » du pays. Si celui-ci a de telles capacités que l’augmentation naturelle de sa population ne puisse le remplir, à mesure que la civilisation permettra de le mieux exploiter, l’élément indigène perd de l’importance pour l’avenir, car de nombreux immigrans viendront se fixer auprès de lui. Certes, le Maroc est vide : son aspect rend très vraisemblable la statistique dont nous venons de donner le résultat. Ce vide est même l’impression qui domine le voyageur en dehors de quelques régions très peuplées, jardins irrigués du Sud, et d’autres, assez habitées, comme les terres noires de l’Ouest et le Rharb au Nord du Sebou. Pendant les