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la maturité du maître, et peut s’appeler son « école. » On a réussi depuis peu à distinguer dans cette école un certain nombre de satellites, de « petits maîtres » espagnols, qui ne sont pas sans mérite. Le public, pour ne pas se surcharger la mémoire, ne retient que les grands noms auxquels il attribue en bloc toutes les œuvres d’un même caractère. C’est faire tort à beaucoup de talens secondaires, qui ne sont pas tous à dédaigner, au risque de rendre le génie responsable d’ouvrages parfois peu dignes de lui.

Parmi ces oubliés du cercle de Velazquez, l’un des plus agréables est son gendre Mazo, que nous aurons appris à mieux connaître à Londres. C’est de lui que sont la plupart des répliques du maître qui passent dans les musées pour des originaux, et ces jolis pastiches dont le plus célèbre est, au Louvre, ce tableau des Petits cavaliers, tant copié par les Manet et les Fantin-Latour. Le marquis de Lansdowne a prêté à l’exposition deux bijoux plus parfaits encore, deux Paysages avec figures, spirituels et fleuris, qui ont je ne sais quoi d’un Watteau espagnol. On a bien du plaisir aussi à voir quelques portraits de Carrefio de Miranda, qui offrent de si beaux noirs profonds et raffinés ; mais une surprise, par exemple, c’est le portrait d’enfant de Fray Juan Rizi, — un bambin de douze ans, en culotte serin et veste orange, avec une épée et des bottes, un morceau d’une crânerie, d’une désinvolture que le Prado envierait à l’admirable galerie de sir Frederick Cook.

Mais ce rare sourire ne doit point nous faire oublier le côté essentiel de la peinture espagnole. Sans doute, on doit s’attendre à ne rencontrer à l’étranger que les œuvres les plus faciles et les plus accessibles, par conséquent les moins locales et celles qui tiennent le moins au génie du pays. La popularité de Murillo ne s’explique-t-elle pas par une certaine banalité de forme et de sentiment, par une grâce langoureuse et un peu sensuelle, qui nous rend abordable ce qui, chez d’autres artistes, se présente sans concessions ? Il est tout naturel que le public anglais (mon Dieu ! comme le nôtre) se soit épris pour commencer des œuvres de ce peintre et surtout de ses tableaux de mœurs, de ses jolis types populaires, où il continue, en l’édulcorant, la tradition toute sévillane des bodegones de Velazquez.. Les Grafton galleries nous en montrent plusieurs, grisettes à leur fenêtre, petites marchandes de volaille, petits marchands