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soixante-cinq ans de vie intellectuelle, n’avait pas évolué un instant.

En effet, c’était un raisonneur, à la façon de nos penseurs du XVIIIe siècle qui ont préparé la Révolution française. Il poussait son raisonnement jusqu’au dernier terme et la conclusion à laquelle il était arrivé s’enregistrait dans son esprit avec la mention ne varietur. C’est, peut-être, ce qui explique pourquoi, malgré des dons admirables et la plus riche expérience, il n’a été, en politique, qu’une sorte de raté. Car la politique est le domaine du provisoire et de l’à peu près ; rien ne s’y fait d’un coup, ni pour toujours.

Mais s’il n’a pu être un grand acteur sur le théâtre du monde, il reste le spectateur par excellence, le critique au jour le jour de la comédie humaine. La littérature lui ménage une revanche et, comme à d’autres morts, une seconde existence dont il ne saura rien et dont nous jouirons pour lui. On relira ses articles, écrits dans une langue toujours précise et transparente, qui jettent une vive et claire lueur sur les figures et sur les événemens de son époque.

Et que dire de ses lettres ? Ce qu’on nous en a fait lire nous donne grande envie de connaître le reste. Soit qu’il nous montre les meneurs du parlement en déshabillé, soit qu’il nous raconte les mésaventures comiques d’un voyage où il se laisse entraîner à la suite d’une petite fille et d’un petit chien, sa phrase ne languit jamais et le trait décisif arrive toujours sans se faire attendre. Qui sait si la correspondance de Labouchere n’est pas destinée à prendre rang parmi les plus précieuses collections épistolaires, à côté de la correspondance de Voltaire et de celle de Mérimée ?


AUGUSTIN FILON