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par le ministre des Colonies à un membre important de la Chartered Company dont Jameson était l’agent. Labouchere consigna son opinion dans un rapport annexé au rapport officiel. Il va sans dire qu’il n’y fut donné aucune suite.

Cet incident, néanmoins, avait laissé une profonde rancœur chez ceux que Labouchere avait si librement attaqués. Lorsque éclata la guerre du Transvaal, ils crurent trouver une excellente occasion de se venger en dénonçant Labouchere comme l’ami des ennemis de son pays. On saisit à Pretoria des lettres de sa main, où il donnait des conseils au président Krüger par l’intermédiaire de M. Montagu White, représentant du Transvaal à Londres. M. Chamberlain communiqua ces lettres à Labouchere en les accompagnant d’une note dont la brièveté administrative se complique d’une sorte de hauteur menaçante, comme s’il avait mis la main sur un cas de haute trahison. Il ajoutait qu’il attendait les explications du député de Northampton et qu’il les prendrait en considération, mais donnait à entendre qu’il serait peut-être forcé de publier ces lettres compromettantes. M. Chamberlain connaissait trop Labouchere pour s’être flatté de l’intimider : il ne l’embarrassa pas un moment. Prenant les devans sur la vague menace ministérielle, Labouchere publia les lettres tout au long dans son journal. Elles précédaient de plusieurs semaines l’ouverture des hostilités et ne prouvaient qu’une chose : c’est que le directeur de Truth avait fait tous ses efforts, jusqu’à la dernière minute, pour amener une solution pacifique du différend soulevé entre le gouvernement du Cap et celui de la République transvaalienne. Labouchere adressait en même temps à M. Chamberlain une lettre ouverte où il copiait complaisamment les formules peu gracieuses dont s’était servi le ministre des Colonies. Il attendait ses explications auxquelles il était, disait-il, disposé à donner une sérieuse attention. Partisan de la publicité à outrance, il l’engageait à faire comme lui et à publier toute sa correspondance, y compris la lettre légendaire à M. Hawkesley dont la communication lui avait été refusée à lui, Labouchere, lorsqu’il siégeait dans la commission parlementaire chargée d’examiner les origines du Jameson Raid. M. Chamberlain ne répondit pas, cela va sans dire, à cette invitation.

Dans cette circonstance, l’opinion publique était trop violemment surexcitée pour que les rieurs fussent du côté de