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jours après, le monde apprenait qu’il s’était brûlé la cervelle dans un hôtel de Madrid, au moment où il allait être arrêté et extradé comme parjure.

Or, à quoi trouvons-nous Labouchere occupé dans les semaines qui suivirent ? A jouir de son triomphe ? Non, mais à chercher avec l’archevêque de Dublin les moyens d’assurer l’existence et l’éducation des enfans de Pigott. Et nous commençons à comprendre que cet homme dont la raillerie était si redoutée, qui, à ce moment même, faisait dans son journal une guerre vengeresse aux fraudes financières et aux spéculations véreuses qui déshonoraient et ruinaient le marché anglais, que ce Labouchere qui ne permettait jamais à une émotion vraie et, moins encore, à une émotion feinte de faire trembler sa voix, était, au fond, un des hommes les meilleurs et les plus humains de son temps.


IV

Lorsque Gladstone rentra au pouvoir pour la quatrième fois en 1892, tout le monde s’attendait à voir Labouchere prendre, dans le nouveau Cabinet libéral, la place qui lui appartenait. Il n’en fut rien, cependant. « Si l’on m’avait assuré, disait Labouchere, que mon poids retarderait la marche du navire, je me serais jeté moi-même par-dessus bord… D’autant plus que je sais nager. Mais il est dur d’être traité comme une espèce de lépreux politique, avec qui on ne saurait avoir de contact. » Pourquoi cette exclusion ? On se le demandait tout bas. Labouchere, fidèle à ses habitudes de franchise à outrance, répondit tout haut : « La Reine ne veut pas de moi pour ministre ! » Plus d’une fois, dans la Chambre des Communes, lorsqu’il s’agissait de voter une dotation pour les princes, Labouchere avait fait remarquer que la souveraine, ayant à peu près renoncé, depuis la mort du Prince-Consort, à remplir les fonctions de la royauté, avait dû réaliser, sur sa grosse liste civile, des économies suffisantes pour lui permettre d’assurer une existence confortable à ses enfans et à ses petits-enfans. Cette sorte de phrase avait porté, pensait-il, ombrage à Sa Majesté qui, en conséquence, refusait de lui donner sa main à baiser, comme font les ministres qui entrent en charge. D’après M. Thorold, son neveu et son biographe, Labouchere aurait