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consistait, d’une part, à intimider les agitateurs révolutionnaires et, de l’autre, à racheter la terre irlandaise pour la rendre aux indigènes. C’était la politique d’un bon gouvernement qui montre un visage sévère aux ennemis de l’ordre et un visage bienveillant aux citoyens paisibles et laborieux. Mais pourquoi soutenir cette politique par la calomnie et l’outrage contre des hommes qui ne méritaient pas d’être confondus avec les Fenians et qui avaient horreur de leurs méthodes ? On sait que le Times, à la suite et à l’appui de virulens articles intitulés : Parnellism and Crime, publia des lettres attribuées au leader irlandais, mais qui étaient, en réalité, des faux, dont l’auteur était un certain Pigott. Après de longues hésitations, Parnell se décida à poursuivre en justice ses calomniateurs. Personne ne lui fut plus utile dans cette circonstance que Labouchere ; personne ne se donna plus de peine pour arriver à confondre le faussaire. Il eut plusieurs entrevues avec cet homme, et, chose bien caractéristique ! il parvint à lui inspirer une sorte de confiance qui serait inexplicable, s’il s’agissait d’un autre que Labouchere. Se faire le protecteur et, jusqu’à un certain point, l’ami de celui qu’il poursuit sans relâche, est un de ces tours de force que le député de Northampton accomplit sans difficulté et, pour ainsi dire, par un don de nature, à force de bonhomie, de finesse et de sincérité. Si bien que, quand Pigott, traqué, acculé, pourchassé de refuge en refuge, de mensonge en mensonge, ne put tenir plus longtemps, c’est dans les mains de Labouchere qu’il voulut déposer sa confession. Celui-ci l’arrêta au premier mot et ne voulut pas entendre une syllabe de plus avant d’avoir un témoin. Il envoya chercher son confrère, George Augustus Sala, dont le bureau était voisin de sa maison et qui arriva en quelques instans. Sala, qui était, lui aussi, un homme d’esprit et un journaliste de grand talent, a raconté cette scène dans un chapitre de ses mémoires qui demeure une page inoubliable de l’histoire anecdotique du XIXe siècle anglais. Devant ces deux auditeurs, le malheureux déchargea sa conscience avec le calme effrayant du désespéré qui n’a plus rien à ménager : on eût dit qu’il racontait l’histoire d’un autre, tant il était précis, prodigue de détails, tant sa voix était indifférente et incolore. Après quoi, il signa, et les deux témoins signèrent à leur tour. Le lendemain, il partait pour le Continent, laissant derrière lui le papier accusateur. Quelques