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Mais les radicaux ! Mais Chamberlain, le chef qu’il se flattait de donner à tout le parti et qu’il vénérait comme un maître ! Il ne pouvait comprendre l’éloignement graduel de cet ami si cher de qui dépendait, en somme, le sort du bill, par conséquent celui de l’Irlande et celui du parti libéral. Aujourd’hui encore, savons-nous tout ce qu’il faudrait savoir pour bien apprécier l’attitude et la conduite du grand homme de Birmingham ? Plus les lettres et les billets de Labouchere se font pressans, éplorés (si un tel mot peut convenir aux petites phrases moqueuses du député de Northampton), plus les réponses de Chamberlain se font vagues et glaciales et, finalement, on y sent percer une sorte d’impatience hautaine d’être tant pressé.

Il avait choisi comme terrain de résistance la question de savoir si l’Irlande, après avoir obtenu un parlement autonome, continuerait à envoyer des représentans à Westminster. Sur ce point, il était intraitable, mais il semblait prêt à accepter le Home Rule, si la représentation irlandaise était maintenue dans le grand parlement impérial. J’imagine que M. Chamberlain posait cette condition à Gladstone parce qu’il la croyait inacceptable : en quoi il se trompait sur l’élasticité de cet esprit vaste et singulier où toutes les idées pouvaient flotter et changer de forme successivement. Gladstone devait accepter plus tard, d’une manière positive, le principe de la représentation irlandaise à Westminster, avec des correctifs et des complications étonnantes ; pour le moment, il se borna à donner des assurances équivoques, dont M. Chamberlain, décidé à la rupture, ne se contenta pas. Son opposition et celle de ses amis détermina l’échec du Home Rule Bill et la chute du Cabinet ; M. Chamberlain tourna le dos à son ancien parti et ne regarda plus jamais en arrière. Ce fut la grande désillusion de la vie politique de Labouchere, qui fit une cible de son ancienne idole. Ces deux hommes, qui s’étaient aimés, furent désormais d’implacables ennemis, et nous les retrouverons tout à l’heure en face l’un de l’autre, l’un sarcastique et provocant, comme toujours, l’autre opposant a de spirituels outrages son froid et dédaigneux ressentiment.

Labouchere ne se relâcha pas un instant dans son zèle à servir la cause de l’Irlande. Cette cause, en effet, avait plus que jamais besoin d’être défendue. J’ai loué ici même, — et je ne le regrette point, — la double politique de M. Balfour qui