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sa fidélité à la Constitution. Alors commença une lutte mémorable où tout le monde se couvrit de ridicule et qui n’a pas peu contribué à la déconsidération du parlement. Le bon sens et la justice finirent par triompher, mais pourquoi n’avoir pas commencé par-là ? Labouchere soutint son collègue avec une persévérance et une énergie qui ne se démentirent pas un seul instant. Cependant je regrette de dire qu’il passe pour avoir soufflé à Bradlaugh un des épisodes les plus grotesques de cette longue et misérable comédie. On sait que Bradlaugh, après avoir refusé le serment, se déclara prêt à jurer et que le parlement, alors, refusa d’accepter son serment. Certain jour, à l’ouverture de la séance, Bradlaugh se glissa dans la salle, courut jusqu’à la table qui est placée aux pieds du speaker et, tirant une bible de sa poche, prétendit s’assermenter lui-même. Cette plaisanterie en action ne pouvait être et ne fut pas une solution.

En peu de temps, Labouchere ou, comme on l’appelait familièrement, Labey devint un des orateurs les plus écoutés du parlement. Mais à peine ai-je écrit ce mot d’orateur que je dois l’effacer pour ne pas donner une idée fausse de sa parole publique. Il ne visait pas à l’éloquence ; on pourrait plutôt dire qu’il la fuyait. Ses discours ne valaient pas ses articles, précisément parce qu’ils leur ressemblaient trop. Lord Randolph Churchill, — à la fois son adversaire et son ami, — comparait chacun de ses discours à une série de « paragraphs, » c’est-à-dire, pour parler notre propre argot, à une succession de filets ou d’échos qui aboutissaient à un trait final, salué par un éclat de rire du parlement. Cet éclat de rire venait à propos pour masquer les bâtons rompus et pour dissimuler la discontinuité oratoire qui reparaissait à la lecture. Ce qui manque aux improvisations de Labouchere, c’est ce large souffle qui passe de phrase en phrase chez les véritables maîtres de la parole.

Quelles étaient les opinions politiques d’Henry Labouchere ? Rien de plus facile que de répondre à cette question, car cet homme si léger était inviolablement fidèle à ses principes ; il n’a jamais voulu les voiler ou les atténuer et les poussait jusqu’à leurs dernières conséquences avec une impitoyable logique.

Donc, il était radical dans le sens où l’on entendait ce mot il y a quarante ans, c’est-à-dire libéral à l’extrême, libéral irréductible et quand même, sans acception de