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attendrissemens, ne s’enflait jamais de faux lyrisme, n’était jamais froide, ni banale, et elle était l’image fidèle de cette intelligence toujours en éveil et en branle. Il me semble impossible qu’on oublie dans les collections poudreuses de Truth ces articles qui, après avoir été de l’actualité, pourraient bien devenir de la littérature. J’ai relu quelques-unes de ces jolies pages : c’est à peine si, depuis trente-cinq ans qu’elles sont écrites, l’encre en a pâli légèrement. Elles ont survécu, comme il arrive, à ceux dont elles se moquent… Mais je suis mauvais juge, étant presque le contemporain de, Labouchere. A la jeune génération de se prononcer là-dessus.


III

Labouchere, ai-je dit, représentait le comté de Middlesex dans le parlement de 1865 à 1868. Une âpre polémique qu’il eut alors, non avec ses adversaires politiques, mais avec son collègue libéral, lord Enfield, l’empêcha d’être réélu, et douze années s’écoulèrent avant qu’il sollicitât de nouveau les suffrages des électeurs. Cette fois, il se présentait dans la circonscription démocratique de Northampton, en compagnie de Bradlaugh, dont le nom était tout un programme. Tous deux furent élus. Nommés ensemble par les mêmes électeurs comme professant les mêmes principes, ces deux hommes présentaient entre eux le plus étonnant des contrastes. On aurait pu dire qu’il y avait entre l’un et l’autre toute la largeur de la nature humaine ! Bradlaugh, un studieux, un solitaire, un athée au tempérament puritain, pour qui l’irréligion était une religion ; Labouchere, un mondain, spirituel et léger, homme de plaisir et homme d’action, indifférent a tout, sauf aux résultats immédiats ou prochains, qui écartait de sa pensée toute considération du monde invisible comme ennuyeuse autant que stérile. Ce contraste se manifesta au moment même où ils mettaient ensemble le pied à Westminster. Labouchere prêt à serment sur la Bible sans donner à cette formalité un moment d’attention ; Bradlaugh décida que sa conscience ne lui permettait pas d’avoir rien à faire avec un vieux livre juif, rempli de grossièretés et d’erreurs. S’appuyant sur une loi de 1866 qui avait réglé la question du témoignage devant les cours de justice, il réclama le droit d’« affirmer » ou de « déclarer »