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appartenait de pourvoir aux difficultés que cette création devait inévitablement faire naître. Mais les autres sont l’Autriche et l’Italie et on ne les verrait pas sans appréhension s’engager seules dans les affaires albanaises : suivant toute apparence, elles y seraient bientôt en conflit. On a rappelé à ce sujet la manifestation que les Puissances avaient faite en commun au sujet de Scutari, où il leur a suffi d’envoyer quelques navires dans l’Adriatique et de débarquer quelques soldats pour faire prévaloir leur volonté et maintenir Scutari à l’Albanie ; mais la tâche était relativement facile, puisqu’elle consistait seulement à faire lâcher prise au Monténégro et il était plus aisé de débarrasser l’Albanie du Monténégro qu’il ne le serait aujourd’hui de la délivrer d’elle-même : une démonstration d’un caractère platonique n’y suffirait probablement pas. Enfin qui pourrait dire dans quelle mesure la Porte est mêlée aux intrigues albanaises ? L’entreprise qu’on a attribuée à Izzet pacha et qui s’est manifestée par le débarquement d’officiers et de soldats turcs à Valona est encore dans toutes les mémoires. Elle a échoué, et le complot a été démenti, mais on persiste à croire qu’il a existé et qu’il pourrait bien, sous une forme nouvelle, être l’objet d’une récidive. Il est certain que la Porte se résigne mal, ou plutôt qu’elle ne se résigne pas à regarder comme définitives les pertes qu’elle a faites ; et de là viennent, pour l’avenir, des inquiétudes qui n’ont pas l’Albanie pour seul objet. Les iles de l’Archipel leur en fournissent un autre.

On a commis de grandes légèretés de paroles à Constantinople ; on y a dit beaucoup trop qu’on ne consentirait jamais à laisser Chio et Mitylène à la Grèce, et que c’était pour les reprendre par la force, si la diplomatie n’y suffisait pas, qu’on avait acheté un cuirassé au Brésil. Une dépense aussi lourde, faite par un pays aussi obéré que la Turquie, témoigne en effet d’un dessein arrêté ; elle n’a pas été faite seulement ad pompant et ostentationem. Mais il était imprudent de laisser transpirer de pareils projets, surtout à un moment où la Porte était en négociations pour obtenir l’autorisation de faire un emprunt sur le marché français. Nous sommes les amis de la Turquie ; nous tenons autant que personne, et peut-être même plus sincèrement que quelques-uns, à ce qu’elle se relève de ses malheurs et trouve une force imposante dans une réorganisation politique et administrative sérieuse et profonde ; mais nous tenons aussi à la paix, qui est d’ailleurs une condition de tout le reste, et ce serait de notre part une faute impardonnable que de donner à qui que ce soit le moyen de la troubler, avec la certitude que ce moyen y serait effectivement employé. Aussi sommes-nous convaincus que le gouvernement de la République n’a laissé, à ce