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« Quelle est la loi de la totalité sensationnelle qu’est la vie ? L’être tend à croître dans son être ; et cette tendance, tantôt elle se nomme tendance à la perfection, tantôt désir du salut, tantôt progrès ; c’est la montée vers l’idéal, la recherche de l’absolu, le besoin de l’assouvissement, la complétude (sic) des fonctions ; encore, l’entrée en Dieu, l’absorption en l’infini, l’effacement en le néant ; encore, la suprême sagesse, l’ataraxie ; et cet éternel formuleraient, l’aspiration à l’idéal ; la nommerons-nous encore le désir de l’accomplissement.

« Richard Wagner conçut que toutes sensations procédaient de cette loi, et qu’en elle se synthétisait la vie. Dans le Parsifal il expliquera le monde sensationnel selon sa loi…

« Sous la quelconque anecdote du sujet apparent du Parsifal, comprenons donc le véritable sujet et le dessein du Parsifal : cette évocation, par la musique, du désir d’accomplissement, essence de ce que nous sommes. »

À peu près vers la même époque, nous proposâmes une explication plus modeste, plus terre à terre, moins dédaigneuse aussi du « sujet apparent » et de la « quelconque anecdote. » On nous permettra peut-être de la rappeler aujourd’hui. Entre l’une et l’autre glose, auditeurs et spectateurs de Parsifal auront le droit de choisir.

Au cœur des Pyrénées espagnoles, dans un monastère inaccessible, le Montsalvat, existe un ordre de chevaliers chastes et religieux. Ils veillent sur une inestimable relique : quelques gouttes du sang du Christ, recueillies par Joseph d’Arimathie en un vase auguste et merveilleux, le Saint Graal. À des jours et selon des rites convenus, ils se réunissent pour célébrer la commémoration de la Cène. Leur chef, ou leur roi, se fait apporter le calice et le découvre. Alors le sang divin s’échauffe et s’illumine, une joie mystique, une véritable extase enivre les chevaliers. Ils prient, ils adorent ensemble, et, répétant les paroles mêmes du Sauveur : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ; Prenez et buvez, ceci est mon sang, » ils communient, en souvenir du banquet eucharistique.

Au surplus, tout cela nous fut conté naguère, à la fin de Lohengrin, par le héros lui-même, le propre fils de Parsifal, en l’admirable récit qui se termine sur ces paroles : « Je vous ai été envoyé par le Graal. Mon père, Parsifal, porte sa couronne ; moi, son chevalier, Lohengrin est mon nom. » Ainsi, dans l’ordre logique et dans l’ordre chronologique, Parsifal précède Lohengrin ; il en est au contraire, selon l’évolution de l’œuvre et du génie de Wagner, la suite et l’épanouissement.