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On dirait la rumeur de lointaines armures,
Qui fait rêver d’un Chevalier mélancolique…


Ce dernier vers est composé de quatre et de huit pieds ; la césure est après le quatrième. Accoutumés à des alexandrins que la césure coupe en deux parties égales, nous sommes peut-être un peu dérangés par ce rythme nouveau. Le sommes-nous vraiment ? et les romantiques ne nous ont-ils pas dès longtemps préparés à une telle scansion ? Puis remarquons-le : un alexandrin de quatre et huit pieds n’est pas scandaleux ; comment le serait-il plus que le décasyllabe des poètes classiques, divisé, non pas en deux hémistiches de cinq pieds, mais en deux parties inégales, l’une de quatre et l’autre de six pieds ?

Il y a aussi, dans les Vierges, des vers (peu nombreux) tels que ceux-ci :


Son visage a la grâce frêle d’un pastel…
Les mains jointes, comme les saintes d’un missel…
Viendra rompre, d’une plainte lointaine et douce…


Il est probable que ces deux derniers vers étaient ceux qui choquaient le plus douloureusement Sully Prudhomme. La syllabe sixième, après laquelle un partisan de la versification classique attend la césure, est une syllabe muette, une syllabe qui ne compte que grâce à la consonne initiale du mot suivant ; et si, par l’habitude de placer ici la césure, la voix s’arrête un instant, laisse attendre le mot suivant, la syllabe ne compte pas, la syllabe sur laquelle la voix voudrait s’appuyer pour y trouver son repos. Les deux derniers vers, nous n’avons pas la ressource de les scander par quatre et six : comme la sixième, la quatrième syllabe est une muette. Et ce n’est pas de chance ! Non, Sully Prudhomme n’exagère pas, quand il note que voilà des césures anormales. J’irais plus loin et dirais qu’à proprement parler ces vers sont dénués de véritable césure. Ces deux vers, — et le précédent, où le second hémistiche part, contre l’usage, sur une syllabe à la fois finale et muette, — si nous les lisons à la manière classique, sont bel et bien des vers faux. Il y a une autre manière de les lire : il faut éluder la césure, allonger certaines syllabes, en abréger d’autres, les grouper habilement et, toutes, les chanter un peu. L’on obtient une harmonie savante et agréable. Je crois que Sully Prudhomme se trompe, en n’admettant qu’une seule harmonie ou qu’un seul rythme des vers. Mais, — et j’insisterais volontiers sur ce point, — je suis tout à fait du même avis que Sully Pruhomme, s’il