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Louis Blanc rejoint Ledru-Rollin, à moins qu’il ne vaille mieux dire que Ledru-Rollin a rejoint Louis Blanc, et la réforme politique, la réforme sociale, ce qui, chronologiquement, est peut-être plus exact. Candidat, dans la Sarthe, au siège législatif de Garnier-Pagès, en 1841, Ledru-Rollin, parmi beaucoup de déclamations, s’écriait : « Ma foi politique, je la puise à la fois dans mon cœur et dans ma raison. Dans mon cœur qui me dit, à la vue de tant de misères dont sont assaillies les classes pauvres, que Dieu n’a pu vouloir les condamner à des douleurs éternelles, à un ilotisme sans fin. Dans ma raison qui répugne à l’idée qu’une société puisse imposer au citoyen des obligations, des devoirs, sans lui départir, en revanche, une portion quelconque de souveraineté. La régénération politique ne peut être qu’un acheminement et un moyen d’arriver à de justes améliorations sociales. » Comme le style de Louis Blanc, ce langage émut les ouvriers qui ne vérifièrent pas si les raisons de Ledru-Rollin étaient bien originales, je veux dire bien profondes, bien intimes, bien à lui ; et, à en croire Pierre Leroux, elles ne l’étaient guère, puisque voici ce qu’on peut lire dans la Grève de Samarez :


Je me rappelle le jour où Démosthènes Ollivier vint, aux Batignolles, me demander de faire un programme (un programme socialiste, entendez-vous ! ) pour Ledru, qui allait se présenter au Mans, où le socialisme avait des partisans. Je fis bien des difficultés, j’avais je ne sais quels pressentimens. Enfin je cède, j’écris un programme ; Ledru l’emporte, brode dessus un discours, et est nommé. Mais, poursuivi devant la Cour d’Angers, le premier mot de sa défense fut une défection, sinon une réaction.


Peu importe. Il n’importe que Louis Blanc ait attaché plus spécialement son nom à la réforme sociale, et Ledru-Rollin à la réforme politique ; celui-ci, au « suffrage universel ; » celui-là, à « l’organisation du travail. » Ainsi, quand l’heure sera venue, se composeront les deux gestes, se combineront les deux mouvemens, se confondront les deux révolutions.


III

Le National du 28 avril 1837 avait donné publiquement ce mot d’ordre : « Toutes les oppositions réelles doivent se concentrer sur le terrain que la loi leur permet d’aborder, et combattre pour la souveraineté du peuple sous le drapeau de la