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Pendant les Cent Jours, le comte a écrit de nombreuses et curieuses lettres dont quelques-unes furent interceptées. Le 3 juin, il mande à un correspondant nommé Vallaisse sous le couvert de Rossi : « Le premier effet du retour de Bonaparte est la chute de Murat et le rétablissement d’un trône légitime. Le reste suivra. Déjà Bonaparte n’existe plus. Ce que nous voyons n’est pas lui. C’est une effigie empaillée et cette effigie même périra. Les Jacobins se sont montrés de nouveau ; tant mieux ! L’effet de cette nouvelle explosion sera d’en détruire une partie, d’en déraciner une autre et d’enterrer la troisième. Le malheur du duc d’Angoulême est grand sans doute, mais pourvu que le prince n’ait rien signé de contraire à son nom, le mal n’est pas européen. D’ailleurs, ils n’oseront pas, j’espère, commettre un forfait sur sa personne. Les temps du duc d’Enghien sont bien loin de nous. Il y aurait d’autres choses à dire sur ce sujet, mais j’ai tout dit en 1796… Voilà donc la Savoie nouvellement morcelée ! Quelle incroyable destinée s’acharne sur ce malheureux pays ! On l’avait coupé ; maintenant on le hache. A leur aise ! Je ne le verrai plus[1]… »

Dans une autre lettre du 4 juin à Rossi, le comte de Maistre écrit : « Il est venu sur le continent pour nous débarrasser de lui et j’en reviens toujours à une phrase qui a obtenu quelque approbation : « Ses vices nous ont sauvés de ses talens. » On ne peut prévoir ce que sera cette guerre, ni même s’il y en aura une. Car les Français pourraient bien, d’une manière expéditive et qui saute aux yeux, l’empêcher. Si l’on me disait que l’on a amené Bonaparte pieds et poings liés à Gand, je n’en serais pas surpris. Et si l’on disait qu’il a gagné une grande bataille sur les alliés, je dirais : « C’est l’époque des miracles. Le raisonnement est inutile. On s’est trompé sur tout. » Mais je vous avoue, je le serais étrangement[2]. »

Le même jour, le comte écrivait ironiquement au duc de Serra-Capriola : « Voilà donc l’excellent roi Joachim à bas ! Quel dommage, monsieur le duc ! Voilà un grand talent et une grande vertu inutiles au genre humain ! Tâchez cependant de vous consoler et ne vous laissez pas aller au désespoir pour cela ! Sérieusement, c’est un beau spectacle de voir ces

  1. La suite de cette lettre figure dans la Correspondance diplomatique, tome II, p. 75-77.
  2. Lettre interceptée à Vienne.