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Le 19 mars 1813, le comte de Maistre se réjouit devoir le Russes à Berlin. « L’alliance est signée entre les deux souverains. Le roi de Prusse a fourni 160 000 hommes, mais je ne saurais pas trop dire par qui ils seront payés… L’Italie va probablement devenir ce qu’on appelle vulgairement le souffre-douleur de tout ceci. L’Allemagne échappe à Napoléon. L’Espagne ne lui fournit plus rien ; reste l’Italie qu’il va pressurer sans miséricorde. » Le ministre, qui se tient un peu à l’écart, invite son souverain à avoir l’œil ouvert sur la France, « car qui sait ce qui peut arriver de ce côté et quel parti on en peut tirer ? » Le 30 avril, il voit l’Allemagne et la Prusse libérées, le gouvernement russe à Varsovie, tous les bords de la Baltique nettoyés. Qui l’aurait prédit, il y a un an ?… Le roi de Saxe, très fidèle à la France, regarde Napoléon comme un instrument de la Providence, comme un bistouri qui fait crier, mais qui guérit. Lorsque l’Empereur apprend la défection de la Prusse, il s’écrie : « C’est donc une guerre à mort ? » Et Joseph de Maistre ajoute : « A mort pour lui, c’est ce qui est probable ; mais pour l’empereur de Russie, nullement. Ce n’est pas à beaucoup près une chose faite ni même aussi avancée qu’on le croit. J’en reviens toujours à une phrase éternelle : tout dépend des Français. Il peut se faire que, dans un moment d’impatience, ils jettent leur empereur à terre… Point d’autre espoir ! »

Le 11 mai 1813, il se borne à dire : « L’année 1813 sera aussi miraculeuse que la précédente, car je ne pense pas que personne puisse douter de ce qu’on verra. Quand on aura ôté l’Allemagne et même l’Italie à Napoléon, il sera encore le plus puissant monarque de l’Europe. En dernière analyse, tout dépend des Français. » Au lendemain de la bataille des Nations, il rapporte un bruit qui court et qui l’émeut : « Il ne paraît pas que, pour détruire Napoléon, on puisse éviter une nouvelle bataille générale… Une bataille générale ! répète-t-il avec une sorte d’effroi. Après celle de Leipzig ? Dans ce cas, Napoléon est évidemment sorcier ! Je ne comprends ni lui, ni ceux qui lui obéissent… Jamais je n’ai pu découvrir un seul signe de révolte contre lui. »

Les événemens se précipitent. Malgré l’héroïque campagne