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belles attitudes du monde. » L’image est hardie, mais peu convaincante. Qui préférerait à l’Hercule Farnèse, à l’Apollon du Belvédère, un corps humain ouvert et sanglant ?

Le comte de Maistre oublie bientôt ses prophéties et ses paradoxes pour se lamenter devant la réalité dramatique des faits. « Voilà, s’écrie-t-il en 1810, un soldat élu de sang-froid par les représentans de la nation ; c’est un événement plus triste peut-être que le meurtre du roi de France. Nous marchons droit au droit admis sous les Empereurs ; je tue, tu tues, il tue… je serai tué, etc., en un mot, tout le verbe ! La guerre est déclarée distinctement à toutes les races royales et Napoléon a dit un grand mot, lorsqu’il a dit qu’il voulait que sa dynastie fût la plus ancienne de l’Europe. Vous en verrez bientôt une autre attaquée et les généraux d’Alexandre rois avant sa mort. » Il faisait allusion à la monarchie de Suède et, quand il apprend l’élection de Bernadotte : « Il nous manquait, dit-il, un sergent-roi élu dans les règles. Vive le roi Oscar ! Il a son rôle à jouer comme les autres. »

Au lendemain du divorce, on cite le nom de toutes les princesses nubiles de l’Europe. On parle d’une princesse autrichienne et de la princesse saxonne, fille du duc Maximilien, et de la grande-duchesse Anne de Russie qui est dans sa seizième année. Toutes les voix paraissaient se réunir sur la princesse de Saxe, lorsque l’ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg a démenti ce bruit. Mais le mariage se fera certainement avec une maison souveraine. Est-ce que la puissance de Napoléon s’en accroîtra ? Joseph de Maistre se remet à prophétiser : « Ce fléau sera certainement passager. » Il croit que cet homme et sa race ne pourront durer, quoi qu’on en dise. Cependant, au comte de Blacas qui s’est écrié : « On nous menace d’un ouvrage qui fait frissonner. Un descendant de saint Louis ! Un petit-fils de Louis XIV !… » il a répondu le 3 juillet 1811 : » Vous savez bien que le cuivre et l’étain seuls ne peuvent faire ni canon ni cloche, mais que les deux métaux réunis les font très bien. Qui sait si un long sang auguste, mais blanc et affaibli, mêlé avec l’écume d’un brigand, ne pourrait pas former un souverain ? »

Il s’occupe ensuite du Concile qui va se réunir en France et il cite la lettre menaçante de Napoléon qui parle de déposer Pie VII. Il assiste de sang-froid à l’une des plus grandes