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capitaines n’ont pris de villes dans leur vie ! Un tel homme sort des rangs. C’est un grand et terrible instrument entre les mains de la Providence qui s’en sert pour renverser ceci ou cela. J’avais l’honneur d’écrire à l’auguste beau-frère de Sa Majesté : Bonaparte vient de s’intituler envoyé de Dieu. Jamais on n’a rien dit de plus vrai. Il est parti du ciel comme la foudre ! En effet, la foudre en vient comme la rosée. Si donc on trouvait moyen d’adoucir cet homme ou d’en tirer parti, on ferait très mal de laisser échapper l’occasion. » Aussi s’étonne-t-il et regrette-t-il que la Cour de Sardaigne ait blâmé sa propre initiative dont il attendait le plus grand bien.

Les fautes politiques de l’Empereur lui rendent une confiance qui, malgré des assurances orgueilleuses, commençait à faiblir. « Je ne veux point, écrit-il le 2 octobre 1809, contester les talens de Bonaparte ; ils ne sont que trop incontestables. Cependant, il faut avouer qu’il a fait cette année trois choses dignes d’un enfant enragé : je veux parler de sa conduite à l’égard de la Toscane, du Pape et de l’Espagne. Si l’Espagne se soutient, nous allons voir un des plus grands, des plus singuliers spectacles qu’on ait jamais vus. Bonaparte va voir un nouveau jour, c’est-à-dire une guerre à ses dépens. Des événemens aussi mortifians (la capitulation de Baylen) l’ont rendu furieux comme un sanglier acculé. Il insulte, il dégrade ses généraux. Ce que nous devons souhaiter le plus, c’est qu’il en fasse fusiller quelques-uns. La cause du genre humain se décide aujourd’hui en Espagne, et tous les yeux doivent se tourner vers cette nation. Elle n’a pas voulu souffrir un illustre usurpateur, au moment où elle souffrait tout de ses maîtres. » Joseph de Maistre croit au succès des Espagnols, mais nul n’a le droit de dire : « C’est fini ! » Il espère quand même en l’avenir, quelle que soit l’obscurité du présent. « Tout semble annoncer la fin de la grande maison des Bourbons ; n’importe, je persiste à croire qu’elle reviendra sur l’eau. Toutes les apparences sont contre elle. » Cela attriste singulièrement le fidèle royaliste, mais il a la foi persistante. Il a confiance malgré tout et il compte sur l’Espagne qui n’a pas voulu subir le joug d’un usurpateur. « Voilà, dit-il, ce qui met ce pays au-dessus de tous les autres ! »

Et le Pape, dont il a méconnu les intentions, qu’il a criblé de sarcasmes indignes, le Pape a fait un geste terrible. Il a lancé une bulle d’excommunication contre Napoléon. « Voici, dit