Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aujourd’hui, cet argument s’est tourné en preuve palpable de la justice éternelle. Cet édifice fameux, construit avec du sang et de la boue et de la fausse monnaie, a croulé en un clin d’œil, et c’en est fait pour toujours. » La prédiction cette fois était fausse. On en a dit d’ailleurs autant de la France après Waterloo et après Sedan.

« Cet édifice, continue de Maistre, a duré moins que l’habit de l’architecte, car le dernier habit de Frédéric II est à Paris en fort bon état où il survivra longtemps à la monarchie prussienne. Lorsqu’on a porté au Sénat l’épée du grand homme, le président Fontanes a prononcé un fort beau discours dont on m’a cité cette phrase : « Grand exemple pour tous les souverains qui seraient tentés de fonder leurs empires sur des bases aussi fausses !… » — Entendez-vous ? Tout ce qui se dit là n’est pas faux. La France et la Prusse sont les deux plus grands sujets qui jamais aient été présentés à la méditation des hommes d’État et des philosophes !… Je sais tout ce qu’on peut dire contre Bonaparte. Il est usurpateur, il est meurtrier ; mais faites attention, il est usurpateur moins que Guillaume d’Orange ; meurtrier moins qu’Elisabeth d’Angleterre… Il faut savoir ce que décidera le temps que j’appelle « le premier ministre de la Divinité au département des Souverainetés, » mais en attendant, nous ne sommes pas plus forts que Dieu. Rien ne prouve que Bonaparte établisse une dynastie ; plusieurs raisons prouvent même le contraire. » Ici, Joseph de Maistre, souvent si perspicace, se trompait encore. Il cherche d’ailleurs à atténuer la rigueur de sa prédiction et il dit : « Mais tout annonce que son règne sera long et que ses actes tiendront du moins en grande partie… Cet homme est surtout remarquable par une volonté invincible. Avant d’agir, il réfléchit, mais dès qu’il a pris son parti, jamais on ne l’a vu reculer. C’est un instrument visiblement choisi par la Providence pour opérer l’une des plus grandes révolutions qu’on ait vues sur la terre. L’Italie est au premier rang de ses projets. Le Piémont est la province qu’il serre le plus étroitement dans ses bras de fer. Mais je persiste à le regarder comme un événement heureux dans toutes les suppositions possibles. Si la maison de Bourbon est décidément proscrite, il est bon que le gouvernement se consolide en France. Il est bon qu’une nouvelle race commence une succession légitime ; celle-ci ou celle-là n’importe à l’univers ! Il faut qu’on