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Au contraire, le couronnement de Bonaparte augmente les chances en faveur du Roi. »

La prédiction du comte de Maistre, faite dix fois, ne se réalisera qu’en 1814, après des guerres incessantes et des revers qui ont lassé et découragé les Français ; mais une année de royauté sera-t-elle à peine écoulée que l’Empereur reviendra à Paris, parce qu’il est non seulement l’empereur des soldats, mais celui des plébéiens, des ouvriers et des paysans, ce que n’ont pas compris les Bourbons. Louis XVIII avait dit, en remettant le pied sur le sol français : « Je retrouverai mon lit aux Tuileries et je n’aurai qu’à en changer les draps. » Sur quoi Chateaubriand avait fait cette réflexion superbe : « Il oubliait que les draps du lit de Bonaparte étaient des drapeaux et qu’il y couchait avec la Gloire ! »


Le comte de Maistre a cru qu’il serait impossible à Bonaparte d’établir une dynastie nouvelle : « Ouvrez l’histoire, dit-il, et montrez-moi un simple particulier qui soit monté subitement au rang suprême et qui ait commencé une dynastie royale ; cela ne s’est jamais vu… Voyez Cromwell, qui était dans le cas de Bonaparte. Sa race n’a pas tenu… Je me crois donc fondé à croire que la mission de Bonaparte est de rétablir la royauté et d’ouvrir tous les yeux en irritant également les royalistes et les Jacobins, après quoi il disparaîtra, lui et sa race. Quant à l’époque, il serait téméraire de conjecturer. Tout homme sage doit dire : Nescio diem neque horam. » C’était là une façon prudente de se couvrir, tout en disant à ses partisans : « Vous ne savez ni le jour ni l’heure ; mais l’un et l’autre viendront, n’en doutez pas. » Joseph de Maistre obéissait plutôt à des convictions opiniâtres qu’à des vues politiques raisonnées. Sans doute les événemens allaient, pendant quelque temps, lui donner raison. Le Premier Consul, après être devenu Empereur et avoir joui d’un pouvoir immense, serait forcé d’abdiquer. Au roi de Rome devait succéder un jour Napoléon III, dont le fils unique, lui aussi, serait condamné à périr d’une mort prématurée. Mais la royauté légitime, après quatorze ans de règne, allait se fondre dans la royauté constitutionnelle que la République devait absorber. Quel prophète eût pu annoncer tous ces changemens qui allaient surgir, et en indiquer la fin ?

En novembre 1803, le comte de Maistre mandait à son roi