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réconciliation si nécessaire, si facile, ne se produira pas ? Il faudra donc attendre longtemps encore ? Mais qu’importent les détails ; tout s’arrangera comme la Providence l’a voulu. « Si la race des Bourbons, écrit-il, est décidément proscrite, il est bon que le gouvernement se consolide en France. J’aime bien mieux Bonaparte roi que simple conquérant[1]. Cette force impériale n’ajoute rien du tout à sa puissance et tue en retour ce qu’on appelle proprement la Révolution française, c’est-à-dire l’esprit révolutionnaire. » Que disait d’ailleurs Napoléon de lui-même ? « J’ai refermé le gouffre anarchique et débrouillé le chaos. J’ai dessouillé la Révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. J’ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites et reculé les limites de la gloire. Tout cela est bien quelque chose. »

Mais le comte de Maistre, qui tient à ses prophéties et qui veut obstinément qu’un nouveau Monk rende au monarque légitime la place qui lui est due, trouve un moyen fort simple d’arranger les choses. « Quoique je croie, dit-il, les Bourbons très capables de jouir de la royauté, je ne les crois nullement capables de la rétablir. Il n’y a certainement qu’un usurpateur de génie qui ait la main assez ferme, et même assez dure, pour exécuter cet ouvrage… Laissez faire Napoléon ! Laissez-le frapper les Français avec sa verge de fer ; laissez-le emprisonner, fusiller, déporter tout ce qui lui fait ombrage ; laissez-le former des Majestés et des Altesses impériales, des maréchaux, des sénateurs héréditaires et bientôt, n’en doutez pas, des chevaliers de l’Ordre ; laissez-le graver des fleurs de lis sur son écusson vide, etc. Alors, comment voulez-vous que le peuple, tout sot qu’il soit, n’ait pas l’esprit de se dire : Il est donc vrai qu’une grande nation ne peut être gouvernée en République ! Il est donc vrai qu’il faut nécessairement tomber sous un sceptre quelconque et obéir à celui-ci et à celui-là ! Il est donc vrai que l’égalité est une chimère !… Rien ne peut être plus utile à la famille de Bourbon que l’ascension possible de Bonaparte qui hâtera sa propre chute et rétablira toutes les bases de la monarchie, sans qu’il en coûte la moindre défaveur au prince légitime. » Il ajoutait : « Je ne sais pas ce qui arrivera, mais je sais bien que ceux qui disent : « C’est fini ! » n’y entendent rien.

  1. C’est le mot de Paul Ier à Dumouriez : » Peu importe que ce soit Louis XVIII, Bonaparte ou un autre qui soit roi de France ! L’essentiel est qu’il y en ait un. »