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et il y voyait l’empreinte d’une main surhumaine, sévère et paternelle tout à la fois, qui répandait sur la France tous les fléaux et qui cependant soutenait son empire par des moyens surnaturels. « Qu’on ne vienne pas, disait-il, nous parler des assignats et de la force du nombre, car la possibilité des assignats et de la force du nombre est précisément hors de la nature. D’ailleurs, ce n’est ni par le papier-monnaie, ni par l’avantage du nombre que les vents conduisent les vaisseaux des Français et repoussent ceux de leurs ennemis ; que l’hiver leur fait des ponts de glace, au moment où ils en ont besoin ; que les souverains qui les gênent meurent à point nommé ; qu’ils envahissent l’Italie sans canons et que des phalanges, réputées les plus braves de l’univers, jettent leurs armes à égalité de nombre et passent sous le joug !… » Il voit dans tout cela un des spectacles les plus extraordinaires qu’un œil humain ait jamais contemplés. Ne croirait-on pas lire une prophétie dans ce passage écrit avant le Concordat : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée et qui doit frapper tous les observateurs. Il n’y a plus de religion sur la terre. Le genre humain ne peut rester en cet état… Mais attendez que l’affinité naturelle de la Religion et de la Science les réunisse dans la tête d’un seul homme de génie. L’apparition de cet homme ne saurait être éloignée et peut-être même existe-t-il déjà ? Celui-là sera fameux et mettra fin au XVIIIe siècle qui dure toujours, car les siècles intellectuels ne se règlent pas sur le calendrier comme les siècles proprement dits. Tout annonce je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. »

Quel esprit sensé, dans ces momens terribles où se jouaient le présent et l’avenir de la France, ne désirait pas une autre révolution, mais celle-là pacifique, féconde, vraiment réformatrice et salutaire ? A ceux qui avaient jeté ce cri insultant à Dieu : « Laisse-nous, sors de nos conseils, sors de nos Académies, sors de nos maisons ! » Dieu avait répondu : « Faites. » Et, comme le remarquait Joseph de Maistre, le monde politique avait croulé. La France se débat alors dans une orgie épouvantable et jette d’inutiles gémissemens devant le sang qui coule à torrens sur la place de la Révolution et sur la place du Trône renversé. Mais son âme, un instant oppressée par les affres de Terreur, se redresse fière et intrépide devant l’étranger qui menace nos