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désir immodéré de la liberté. » (Mercredi des Cendres, 1680.)

Il avait entendu sonner la trentaine, ce glas de la jeunesse ; ayant réussi enfin à vendre sa charge, il se voyait libre, si l’on veut, mais sans aucune sorte de prestige ni position dans l’époque la plus entichée des honneurs publics. Mais il ne faut jamais désespérer de la bonne fortune. Le 16 décembre 1683, sa mère écrit au comte de Bussy-Rabutin :


Je croyais mon fils hors d’état de pouvoir prétendre à un bon parti, après tant d’outrages et tant de naufrages, sans charges et sans chemin pour la fortune ; et, pendant que je m’entretenais de ces tristes pensées, la Providence nous destinait à un mariage si avantageux que, dans le temps où mon fils pouvait le plus espérer, je ne lui en aurais pas désiré un meilleur.


C’était une jeune Bretonne, une fille de seize ans, si l’on en croit la généalogie de Bussy ; de dix ans plus âgée, si l’on se tient aux registres de sa paroisse ; une petite personne parfaitement élevée, fort pieuse, un des beaux noms de la province ; le père était un conseiller au Parlement de Rennes, riche de plus de soixante mille francs de rente ; il donnait deux cent mille livres à sa fille et hésitait un peu à la confier à l’aimable dissipateur qu’était Charles de Sévigné. Il exigeait beaucoup de garanties, et pour que ce mariage pût s’accomplir, il fallait que l’abbé de Coulanges vidât sa cassette et que la marquise se dépouillât, — ce qu’elle fit de fort bon cœur. Elle ne savait être à moitié généreuse : tout y passa. Sa vaisselle plate, ses fermes, son équipage même. Elle ne se réserva que son domaine et mille francs de rente viagère dans le cas où son fils viendrait à mourir avant elle.

Le lendemain du mariage, la jeune marquise fit élever cette rente de moitié. C’est par cette action gracieuse et digne que nous faisons sa connaissance. J’aime ce pur visage un peu froid de jeune femme sérieuse et pleine de courage. Toute Bretonne bretonnante qu’elle est la première éducation de Mlle de Mauron a dû être exquise. Les quelques lettres que nous possédons d’elle, comme la correspondance de sa belle-mère, nous la montrent délicate, réservée, bonne. Elle sait s’effacer devant l’illustre mère de son mari ; elle l’aime sans crainte, l’admire sans emphase. Lorsque Mme de Sévigné revisite les Rochers, elle écrit à sa fille :