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décerner les mêmes éloges à son charmant garnement de fils.

Son faible, comme son fort, c’est qu’il est amateur en tout, et si léger qu’il change constamment d’intérêt ; il oublie ce qu’il veut, ou même ce qu’il était justement en train de sentir. ; Il est militaire de son métier ; mais la fille des Rabutin a dû souffrir de le voir si peu un foudre de guerre. Ce n’est pas qu’il ne sache se comporter bravement à l’heure du danger ; plus d’une fois, il s’est distingué dans les tranchées ; « il a servi peu, mais bien, » nous dira Saint-Simon. Il est allé loin, en Allemagne, et jusqu’en Candie. L’aventure le tente. Mais il n’a pas cet autre courage, plus difficile, qui sait affronter la lassitude, l’ennui, les longues privations. Que la campagne traîne en longueur, et il se dégoûtera de fatigues si peu compatibles avec son esprit vif et froid ; il cherchera à s’en évader… En effet, pendant l’été de 1677, Sévigné s’ennuyait à mourir à l’armée. Brusquement, pour une blessure de rien, une petite plaie au talon, une sciatique, le voilà qui arrive chez sa mère à Livry, sans congé, en cachette et presque en déserteur. Son capitaine lui écrit : « Venez ! venez boiter avec nous. » Le Roi fronce le sourcil ; sa bonne mère, quoique enchantée de cette aubaine, finit par s’alarmer et part pour Versailles où elle fait son possible pour arranger l’affaire ; elle renvoie son garçon à son régiment.


5 août et 28 juillet 1677.

Il s’en va à l’armée ; ce n’est pas possible qu’il fit autrement ; je voudrais même qu’il ne traînât pas et qu’il eût tout le mérite d’une si honnête résolution.

Je trouve la réputation des hommes bien plus délicate et blonde que celle des femmes.


Sévigné avait beau se moquer de l’importance démesurée qu’on donnait à cette escapade, se prétendre un « pauvre criminel, » espérer qu’il se tirera d’affaire sans être pendu, la chose n’était aucunement une plaisanterie. On peut dire que, dès ce moment-là, sa carrière dans l’armée était compromise. Le Roi ne disait rien ; le ministre non plus ; tout paraissait rentrer dans l’ordre. Mais, pour l’officier qui abandonnait sa compagnie sans congé, la disgrâce finale était certaine. Malgré le tableau d’avancement, certaines promotions ne se faisaient plus.