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jeune mère et sa sœur ; et l’abbé Arnauld, qui les aperçoit, les décrit « tous trois tels que les poètes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la petite Diane. » Ce jeune Apollon-là, paré, mondain, n’est pas le vrai Sévigné ; ce carrosse tout ouvert, cet air de compagnie, lui siéent mieux qu’ils ne lui plaisent ; car son goût est pour la campagne ou pour l’intimité libre et lettrée. Je le retrouve plus pareil à lui-même, un peu plus tard, à Livry, dans cette allée bien sombre où il y a un siège de mousse ; ou encore, au fond du petit bois, assis sur un trône de gazon, déclamant à sa mère, qui l’admire, quelque belle tirade de Racine. Il lisait, disait-elle, presque aussi bien que Molière. Les beaux vers, les forêts, et sa « maman-mignonne, » Sévigné les a toujours aimés mieux que tout ce qu’il y a au monde.

Il était né dilettante, avec une nuance bien à lui d’enjouement, de finesse et d’ironie, et dans sa raillerie il y a quelque chose de bien moderne, quelque chose qui est déjà presque de la « blague. » Il est tendre et gai, il est charmant, il a le goût juste et fin. Jamais il ne tombe dans les travers de sa mère qui, toujours docile à la mode, met Nicole sur le rang de Pascal. Son fils, en riant, traite son fade Nicole de « blanc manger, » et la renvoie, si elle veut un vrai grand écrivain moraliste, à Pascal, à Plutarque ou à Montaigne. Ce bon critique est, par-dessus le marché, amateur de la musique. On aimerait savoir ce qu’est devenue certaine « symphonie charmante, » composée par les deux Camus et Itier, qu’il trouvait poignante et tendre, car la sûreté de son esprit fait qu’on désire connaître les ouvrages qu’il loue. Il se plaisait à causer avec des artistes, il aimait à se rencontrer, chez Ninon, avec toute une mauvaise société de poètes : « tous les Racine, tous les Despréaux, et il paie les soupers ! » s’écriait sa mère. Sévigné ne voyait pas seulement ces gens de lettres, encore un peu bohèmes ; sa mère « l’avait mis dans le monde (nous dit Saint-Simon) et dans la meilleure compagnie. » Sans doute, elle aurait voulu faire de lui un bel officier, un brillant courtisan, en même temps qu’un grand homme de bien. Mais le petit baron était réfractaire. Il n’aimait guère Versailles. Il préférait flâner par les détours de la a le ; il soupirait après sa chère Bretagne ; il rêvait de son manoir, de ses bois, de sa chère liberté, et de ses aises.