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différemment ailleurs et Suffren, en particulier, poursuivait dans le même temps aux Indes sa fameuse campagne qui, faute de moyens de communication, devait se prolonger longtemps après la paix. Tant d’amitiés avaient été formées que bien des cœurs furent émus au départ. Le 19 octobre, anniversaire de Yorktown, Washington offrit un dîner aux officiers français, qui ce même jour le quittèrent pour ne plus le revoir. « Le soir, écrit Closen nous primes congé du général Washington et des autres officiers de notre connaissance de l’armée américaine, le départ de nos troupes étant fixé au 22. Il n’y a pas d’honnêtetés et de bontés que le général Washington ne nous ait témoignées, et l’idée de devoir se séparer de l’armée française, vraisemblablement pour toujours, paraissait le peiner réellement, ayant d’ailleurs reçu les preuves les plus convaincantes du respect, de la vénération, de l’estime et même de l’attachement que chaque individu de notre armée lui portait. »

Après avoir échangé avec le commandant en chef américain « les plus tendres adieux » et reçu de lui et de ses officiers « les assurances d’une confraternité éternelle, » Rochambeau à qui le Congrès avait donné deux canons de bronze, pris à Yorktown et ornés d’inscriptions qu’avait rédigées Washington, s’embarqua pour la France, sur l’Émeraude, au commencement de janvier 1783. Un navire de guerre anglais, qui croisait à l’entrée de la Chesapeake, faillit le prendre, et ce fut seulement en jetant par-dessus bord ses mâts de rechange et une partie de son artillerie que l’Émeraude, allégée et plus rapide, put s’échapper. Le général apprit au débarqué la nouvelle de la paix que, dès le premier moment, Vergennes avait envisagée comme une conséquence certaine, mais non immédiate, de la prise de Yorktown. Il avait écrit au général, le 1er décembre 1781, pour lui offrir « l’hommage de reconnaissance de tous les bons Français, » ajoutant : « Vous avez rendu, monsieur le comte, à nos armes le plus grand éclat, et vous avez posé une pierre d’attente sur laquelle j’espère que nous élèverons un édifice honorable de paix. » L’heure maintenant en était venue, et, pendant que Suffren avait encore à gagner la bataille de Goudelour, les préliminaires avaient été signés à Versailles le 20 janvier 1783.

Le Roi, les ministres, le pays entier firent à Rochambeau le grand accueil qu’il méritait. Il avait adressé à Louis XVI, pour principale demande, et son audience de retour, la permission de