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vingt vaisseaux et sept frégates, sous les ordres de Hood et de Graves, le même Graves qui n’avait pu intercepter le convoi de Rochambeau, avait été signalée le 5 septembre, et de Grasse, laissant derrière lui pour aller plus vite quelques-uns de ses bâtimens et pas mal de marins occupés à terre, avait levé l’ancre trois quarts d’heure après la vue des signaux, pour livrer le combat d’où l’issue de la campagne allait dépendre. C’est là, écrivait dans ses mémoires le commandant de la Légion anglaise Tarleton, « un fait digne d’admiration. » Six jours après, il était de retour, il avait eu 21 officiers et 200 marins tués ou blessés, mais il n’avait perdu aucun navire, et la flotte ennemie, sérieusement endommagée, avec 336 hommes hors de combat, et le Terrible de 74 canons, abandonné et incendié, avait dû se retirer à New York. Malgré l’arrivée de l’amiral Digby et de ses renforts, « on ne tentera pas cependant, écrivait La Luzerne à Rochambeau, un second engagement ; en tout cas, je ne suis pas inquiet du succès » Rien ne fut tenté. « Cette domination de la mer, notait là-dessus Tarleton, prouva la force des ennemis de la Grande-Bretagne, dérangea les plans de ses généraux, découragea ses amis, et finalement confirma l’indépendance américaine. »

En revenant prendre sa garde à l’entrée de la baie, de Grasse eut la joie d’y trouver une autre escadre française, celle de Barras. Comme lieutenant général, de Grasse avait rang sur lui, mais comme chef d’escadre Barras était son ancien, ce qui faisait une situation difficile, et ce dernier pouvait être tenté, comme il le fut, de faire campagne à part avec chance que la gloire des succès possibles lui revînt : « Je te laisse le maître, mon cher Barras, lui avait écrit de Grasse, le 28 juillet, de venir me joindre ou d’agir de ton côté pour le bien de la cause commune. Donne-m’en avis seulement, afin que nous ne nous nuisions pas sans le vouloir. » Subordonnant son intérêt à la cause commune, Barras avait quitté Newport gagnant la haute mer, puis, tournant au Sud à grande distance des côtes, avait évité les Anglais et atteint la Chesapeake avec la grosse artillerie, indispensable pour les dernières opérations. Les astres demeuraient propices.

Le double siège, dont les récits abondent, commença alors, celui de Yorktown par Washington et Rochambeau, sur la rive droite de la rivière d’York et celui de Gloucester sur la rive opposée où les Français étaient commandés par Choisy et