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écrit à Rochambeau, à propos de Washington et de sa lettre : « J’ai dit à ceux qui m’en ont parlé que je n’y trouvais que le zèle d’un bon patriote et qu’il fallait qu’un citoyen fût bien vertueux quand on ne pouvait lui trouver d’autre crime[1]. »

De nouveaux trésors venaient de tomber aux mains de Clinton : une lettre de Chastellux à La Luzerne parlant fort dédaigneusement de son chef et de ses « bourrasques » et s’y vantant, conte Rochambeau, « d’avoir eu l’art de m’engager à rapprocher mon opinion de celle du général Washington, » avec cette conséquence « que le siège de l’île de New York était enfin déterminé… Il se plaignait du peu de ressource que peut avoir un homme d’esprit sur le caractère impératif d’un général qui veut toujours commander. » Clinton fit porter la lettre à Rochambeau avec le charitable avis « qu’il devrait se méfier de ses alentours. Ce n’était pas assurément, remarquait celui-ci, dans le dessein de mettre la paix dans mon ménage. » Le général fit venir son chef d’état-major, lui montra la lettre qu’il reconnut en rougissant, la jeta au feu et le laissa « en proie à tous ses remords. » On juge, conclut Rochambeau, « que je ne cherchai pas à le détromper. »

Un texte des décisions arrêtées aux conférences de Weathersfield ne fut pas moins heureusement capturé par Clinton, et, nous avons vu combien Washington s’y était montré peu enclin à diriger vers le Sud le grand effort des deux armées. Une lettre de Barras à La Luzerne du 27 mai fut aussi interceptée et, par bonheur aussi, le marin y révélait son projet de conduire la flotte encore plus au Nord qu’elle n’était, c’est-à-dire à Boston : projet réel, mais abandonné aussitôt que formé et remplacé par un autre tout contraire. Une lettre, révélatrice celle-là, de Rochambeau à La Luzerne, fut encore prise ; elle était chiffrée, et les Anglais purent la traduire ; mais, comme les astres favorisaient décidément les alliés, ce furent les Anglais de Londres qui le purent, et non ceux de New York, et, quand le déchiffrement fut enfin mis sous les yeux de Clinton, il n’avait plus depuis longtemps, et pour bonnes raisons, aucun doute sur les projets réels de Washington et de Rochambeau.

Le secrétaire colonial britannique était maintenu, entre temps, dans un état de jubilation persistante par les nouvelles

  1. 13 avril 1781.