Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démeublée ; le prêtre est parti… O grande pitié des églises de France !

D’où viendra le salut ? D’une coalition rassemblant les imaginations et les sensibilités, toute la haute intelligence. Au long de cette campagne, chaque jour, j’ai réclamé l’alliance de tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui possèdent le sens du mystère et le génie de la vénération. Qu’ils unissent leurs forces, leurs puissances de souvenir, de désir et de dégoût. J’appelle tous les esprits nobles à se masser sous les murs du Christ civilisateur au village.

Mais que vaudraient ces puissans concours, ces armées du dehors si, dans la citadelle menacée, l’âme venait à défaillir ! Je m’en suis expliqué l’autre jour avec mon vieil ami Charles Le Goffic, l’un des chefs du celtisme, un de ceux qui se donnent pour mission de raviver et de maintenir, à la Mistral ! la vertu du sang. Lui aussi, il s’imaginait que j’étais à même de changer le cours des choses et que je pouvais intervenir contre les méchans à la manière d’un archange avec une épée fulgurante, et il m’avait écrit la lettre la plus touchante et la plus savante pour me demander de défendre les cimetières bretons menacés. Je lui répondis en toute vérité par cette épitre, où l’on peut trouver l’expérience de mes quatre années de lutte et qui sera mon dernier mot :


Mon cher Le Goffic,

J’achève de lire les belles pages que vous m’écrivez, pleines d’un sens profond sur le rôle des cimetières en Bretagne, sur le souvenir obscur que votre terre semble garder d’avoir été, au fond des âges, notre ossuaire national et le caveau où l’on portait les morts de tous les points de la Gaule. Elle est saisissante, l’interprétation historique que vous nous donnez des champs du repos dans la vieille Armorique. « Tout notre patrimoine artistique est rassemblé là, me dites-vous : châteaux d’eau merveilleux, comme les fontaines à vasques de Saint-Jean-du-Doigt et de Loguivy-lès-Lannion ; grands calvaires à figuration dramatique, comme ceux de Tronoën, de Guimiliau, de Guéhenno, de Plougonven, de Plougastel ; chaires à prêcher en plein vent, comme celles de Pleubian et de Plougrescant ; ossuaires magistraux, vastes comme des églises, à la décoration