Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Vierge, et du plaisir que nous éprouvions, Stanislas de Guaita et moi, à le prendre pour but de nos promenades à vingt ans. Mon ami l’a chanté dans ses vers de jeunesse. Nous allions et venions du cabinet rempli des livres de tous les poètes à cet arbre vénérable, et bien à notre insu, sans rien analyser, nous éprouvions l’influence de son caractère sacré.

Chaque été, quand je reviens dans mon pays, je vais voir une source au bas d’une côte, dans un bois. J’en sais de beaucoup plus belles, mais de celle-ci j’ai l’habitude et nul autre ne la regarde. Cent journées nous sont communes, et demeurées sous cet ombrage, dans cette vasque, m’accueillent à chaque visite. Les souvenirs que j’y retrouve, je les respecte comme les émotions et les pressentimens d’un enfant. Est-ce qu’une fée celtique, une nymphe romaine, autrefois, furent attachées à la vasque charmante ? Sans me répondre, l’eau murmure sous les arbres qui bruissent. Je me tiens debout, honorant une présence que, depuis les temps païens, nous ne savons plus nommer. Mon imagination enchantée se reporte aux jours de mon enfance, à l’heure naïve où, légèrement épouvanté de l’ombre et du silence, je venais admirer les libellules et les grands papillons de cette vallée humide. Quelque chose de mystérieux se présentait tout naturellement à mon esprit et m’envahissait, comme un brouillard d’automne parfois prend possession d’un jeune arbre. Je t’ai quitté depuis quarante ans, petit Bois des Côtes, et d’année en année la vie industrielle te resserre et te menace. Je t’aimais avec ce sentiment que tes jours dureraient alors que nous aurions passé près de ton miroir comme les éphémères, et voici qu’en te faisant ma visite, j’entends les cloches et les rumeurs des fabriques toutes proches. Oh ! belle fontaine, toujours jeune, forte, pure, jaillissante, d’un instant à l’autre, peut-être tu vas périr ! Aujourd’hui, je me réjouis que la source du Bois des Côtes, dans sa vasque de sable fin et sous un voile de cresson, ne soit pas encore captée.

Je ne riais pas quand le vieux curé de Portieux, mon ami le chanoine Pierfitte, me racontait qu’un soir de son enfance, au côté de son père, par la porte entre-bàillée de leur hutte de bûcherons, il avait vu les fées danser dans une clairière. « Ne bouge pas, petit, lui disait son père ; elles sont capricieuses, tantôt bonnes, tantôt méchantes ; le meilleur est qu’elles nous ignorent. » Je ne riais pas, je l’aimais davantage comme un homme