Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les caroles et les chants diaboliques ; que nul n’allume des flambeaux, ni ne fasse des vœux au pied des temples, auprès des pierres, des fontaines, des arbres, des enclos ou dans les carrefours ; que nul ne garde le repos de Jupiter (ô mes jeudis de collège !…) ; que nul ne suspende au cou d’un homme ou d’un autre animal des phylactères même offerts par les clercs et déclarés sacrés, sous prétexte qu’ils contiennent des passages de l’Écriture ; que nul n’ait la prétention de faire des lustrations, ni d’enchanter les herbes, ni de faire passer son troupeau par un trou d’arbre ou par un trou creusé en terre, parce que c’est là, en quelque sorte, le consacrer au diable ; que nulle femme ne suspende de l’ambre à son cou ; que nul ne se mette à vociférer pendant les éclipses de lune ; que nul ne croie au destin, à la fortune, à l’horoscope. En cas de maladie, n’allez pas chercher les enchanteurs, les devins, les sorciers, les charlatans, et n’appliquez pas des phylactères diaboliques aux sources, aux arbres, aux embranchemens des routes… Mais laissez là les fontaines et coupez les arbres qu’on appelle sacrés. »

Quel trésor qu’un tel texte ! Il nous dispenserait de tous les folklores du monde, ou du moins il leur sert de préface, de commentaire et de conclusion. Il nous rend compte de tant d’usages injustifiés qui nous plaisent absurdement et même nous émeuvent, comme ce morceau d’ambre au cou d’une femme, parce qu’ils ont, à notre insu, des origines religieuses ! Saint Éloi nous décrit là une couche profonde de notre être, ce qu’il y a en nous d’irrationnel et de si fort, et qui nous gouverne encore d’une façon despotique. Au milieu de toutes ces niaiseries que le bon sens avec le saint réprouve, on distingue de l’excellent, de l’éternel Saint Éloi, n’exigez pas de moi que je vous sacrifie les arbres séculaires et les forêts profondes, les sources et les collines, les fleuves, les enclos, les solitudes et les fontaines, non plus que les âmes des ancêtres. Rien de tout cela ne me laisse insensible. Les déesses des sources étaient bienveillantes, les dieux des bois, redoutables. Quand je suis seul dans la forêt, j’éprouve une angoisse ; auprès d’une source, un sentiment d’amitié douce. Grand saint Éloi, n’interprétez pas, mal mon involontaire souhait de désarmer le silence menaçant des bois et mon désir de protéger la source !

Je me souviens, dans une chênaie, au pays des étangs lorrains, d’un vieux chêne qui abrite dans son cœur une statue de