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animer. Toutes ces nations vieilles ou jeunes, veulent durer, se développer, grandir, et elles ont parfaitement raison de le vouloir ; il serait puéril de leur en faire un grief ; il faut seulement prendre, de notre côté, des précautions correspondantes. Et l’Allemagne ! L’Allemagne se vante d’être un élément de pondération et de paix en Europe et il est juste de reconnaître qu’elle l’a été plus d’une fois. Qu’après les chances heureuses que la fortune lui a prodiguées il y a un demi-siècle et depuis, elle ait principalement consacré sa politique à consolider le prodigieux édifice qu’elle avait construit, et qu’ayant senti pour cela le besoin de la paix, elle se soit appliquée à la maintenir, c’est une justice que l’histoire lui rendra sans doute et dont l’Empereur actuel aura sa large part. Mais cela durera-t-il toujours ? Qui ne voit, qui n’entend dire, qui ne lit quotidiennement en parcourant les journaux allemands, que ce grand pays étouffe dans ses frontières, qu’il rêve d’ambitions coloniales, que sa flotte menace déjà celle de l’Angleterre, que son armée de terre frémit d’impatience ? Pacifique, oui certes, l’Allemagne l’est encore, mais le pangermanisme fait fermenter en elle un levain dangereux pour elle, inquiétant pour tous. Et l’acquittement du colonel de Rentier ? Et celui du lieutenant de Forstner ? Sont-ce là des symptômes sur lesquels on puisse s’aveugler ? Il faudrait une rare inintelligence pour ne pas en comprendre l’enseignement.

Nous avons parlé du pitoyable incident de Saverne dont on a eu la maladresse de laisser sortir tant de conséquences ; un souffle aurait suffi pour éteindre la mèche qui a allumé un.si formidable incendie, mais ce souffle n’est pas venu et le feu a fait rage. L’opinion française a assisté impassible à l’étrange spectacle qu’on lui donnait. Elle n’avait pas à y prendre parti, quelque sentiment qu’elle pût en éprouver. Elle voyait l’œuvre d’apaisement et d’assimilation morale, poursuivie avec tant d’opiniâtreté eu Alsace-Lorraine, reportée d’un seul coup à vingt ans en arrière et compromise à nouveau pour longtemps. Mais ce qui a pu l’étonner et l’instruire encore davantage, — et aussi la préoccuper, — c’est l’extraordinaire état d’esprit que le procès de Strasbourg a révélé en Allemagne. Les acquittemens d’officiers qui ont évidemment et outrageusement violé des lois positives ne nous importent guère ; ils ne regardent que les Allemands ; on peut seulement s’amuser au souvenir de la belle indignation qui s’est emparée de l’Allemagne tout entière lorsque, dans une affaire trop célèbre, nous avons eu à protéger notre armée contre des coups que l’égarement de la fureur ne ménageait plus. O pharisaïsme ! On voit clairement aujourd’hui qu’en Allemagne, l’armée, quoi qu’elle fasse, ne peut