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efforts sur le renforcement de leurs armées de terre et, si l’Allemagne avait un jour l’idée de contester la suprématie britannique sur mer, elle serait obligée d’y renoncer pour conserver sa situation militaire sur le continent, ce qui est sa préoccupation dominante et son intérêt principal. Ici, nous devons un remerciement d’un genre particulier à M. Lloyd George : il trouve tout simple que l’Angleterre modère ses arméniens maritimes pour permettre à l’Allemagne d’augmenter ses forces de terre contre nous. Ce sont là des choses qu’on pense quelquefois, mais qu’on s’abstient généralement de dire. L’augmentation des forces militaires, ou même leur entretien dans l’état présent, est d’ailleurs, aux yeux de M. Lloyd George, une « folie organisée : » aussi, après avoir constaté qu’un grand mouvement s’élève contre elle dans l’Europe occidentale, déclare-t-il que « si le libéralisme négligeait de saisir l’occasion actuelle, il trahirait grossièrement la confiance du peuple. » L’occasion actuelle ! M. Lloyd George la trouve excellente pour procéder au désarmement. On se demande dans quelle planète éloignée vit son esprit, puisqu’il ne voit rien de ce qui se passe dans la nôtre. Et malheureusement, ces idées, qui sont à ses yeux la folie de la désorganisation, sont partagées par une fraction considérable de l’opinion radicale en Angleterre. C’est là une faiblesse du parti libéral, devenu radical, et du gouvernement issu de lui. Ni M. Asquith, certes, ni sir Ed. Grey, ni M. Churchill ne partagent le pacifisme outrancier de M. Lloyd George ; mais n’est-ce pas un grand désordre dans un pays qu’un ministre puisse se mettre, sur une question si grave, en désaccord public avec ses collègues et avec le président du Conseil lui-même ? Sir Edward Grey énonce avec fermeté les conditions de la politique anglaise dans la question du Dodécanèse ; il dit et il répète que l’Angleterre ne saurait accepter qu’une seule île restât entre les mains d’une grande Puissance ; M. Lloyd George croit-il que l’affirmation de cette politique, où l’Angleterre voit avec raison un intérêt vital pour elle, se produirait avec autorité en Europe si elle n’était pas appuyée sur une force très imposante ? M. Lloyd George veut bien dire qu’il tient à l’entente cordiale ; il espère que les deux grandes démocraties occidentales resteront unies ; nous l’espérons aussi, mais un tel espoir ne peut se réaliser que dans l’union de deux forces et non pas de deux faiblesses. Lorsque nous avons jugé que notre force était insuffisante, nous l’avons augmentée : nous aurions assurément quelque chose à dire si l’Angleterre en profitait pour diminuer la sienne, car nous resterions exposés à un danger sans contre-partie. Comment M. Lloyd George ne voit-il pas