Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous voici tout près de la redoute : à trois reprises, nos hommes tentent vainement d’en forcer l’entrée, sous une grêle de boulets et de balles. Après des efforts infinis, ce qui reste du bataillon parvient enfin à escalader le rempart, et désormais c’est à l’intérieur de la redoute que se poursuit la mêlée. Les canonniers français tombent bravement à côté de leurs pièces enclouées. Toute l’affaire n’a pas duré plus de dix minutes.

Presque au même moment, d’autres bataillons avaient, eux aussi, enfoncé les lignes ennemies : l’aile droite des Français se trouvait rejetée vers I’Elster, en pleine déroute. Il y eut là une avance générale de tout notre corps d’armée ; et déjà nous avions pris possession d’un large plateau un peu élevé, lorsqu’une fois de plus une vive canonnade imprévue vint anéantir nombre de nos hommes.

Quant à moi, pour pouvoir panser les blessés avec plus de loisir, je m’étais installé dans un fossé profond, derrière le bataillon. Je me figurais y être à l’abri ; et, en vérité, quel besoin aurais-je eu de m’exposer au danger, alors qu’il m’était possible sans cela de remplir tout aussi bien mon devoir de médecin ? J’étais donc occupé à trancher la jambe d’un sous-officier, quand un boulet en ricochet vint écraser le pauvre diable entre mes mains ; et à peine, ensuite, ai-je pu me retourner, que voilà qu’une nouvelle grenade frappe le rebord du fossé, et en roule lentement pour s’abattre à mes pieds ! Je renonce à décrire l’épouvante qui m’envahit. Du moins me hâté-je, suivant la règle, de me jeter à plat sur le sol, après quoi j’attends qu’il plaise à la grenade d’éclater : mais la maudite bête me laisse longtemps dans cette attente mortelle, sans vouloir se décider. Enfin ma patience est à bout : je saute sur mes pieds, saisis la grenade, et la rejette au dehors du fossé. Elle était morte, c’est-à-dire éteinte. D’une façon générale, d’ailleurs, le tir de l’artillerie française m’a semblé exceptionnellement mauvais, pendant toute cette bataille.


D’autres fois, au contraire, notre volontaire prussien ne se fait pas faute de louer l’habileté et la bravoure des troupes françaises ; et le génie de Napoléon, surtout, lui inspire une admiration qu’il ne cherche pas à dissimuler. Après comme avant cette victoire allemande de Leipzig, il nous raconte d’autres batailles où, malgré la supériorité du nombre, l’armée dont il fait partie est incontestablement défaite, — sauf pour les ministres à le nier, dans leurs bulletins. Car ce n’est pas seulement à Napoléon que doit s’adresser le reproche d’avoir voulu cacher ses échecs. « Que nous ayons mérité, nous aussi, le même reproche, — écrit l’ancien Chasseur de Lützow, — c’est de quoi j’ai eu la preuve la plus manifeste, à maintes reprises. Il est absolument certain, par exemple, que dans les deux batailles de Lützen et de Bautzen nous avons été battus, et avons subi des pertes considérables. Comment donc ne nous serions-nous pas étonnés lorsque, nous étant retirés en Silésie après ces deux rencontres meurtrières, nous y avons vu paraître des bulletins de l’armée des Alliés où il était parlé tout au