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scène, une connaissance du public, un art de plaire, une sûreté de métier, une délicatesse de doigté qui font que chacune de leurs pièces nouvelles est un nouveau succès. Je crois bien que jamais ils n’avaient porté ces qualités à un degré de perfection tel que dans cette Belle Aventure due à la collaboration de MM. G.-A. de Caillavet, Robert de Flers et Etienne Rey. À tout débutant qui voudrait apprendre ce que c’est qu’une pièce bien faite à tout vieux routier qui voudrait savourer en homme du métier le dernier mot de l’habileté, je dirai : « Allez et instruisez-vous ! »

Car la pièce n’est en son essence qu’un vaudeville, et un vaudeville à quiproquo : le cousin d’Hélène de Trévillac est pris pour son mari ; André d’Eguzon passe, aux yeux d’une vieille grand’mère, pour être Valentin Le Barroyer. Mais cela est traité avec une telle légèreté de touche, agrémenté de tant de jolis détails parmi lesquels il en est de doucement attendrissans, que le fond de vaudeville disparaît : on ne voit que la forme de comédie légère. Les personnages sont des fantoches ou des grotesques, mais dessinés avec une telle absence de prétention, en croquis si rapides, qu’on a plaisir à les voir ou à les revoir : le vieux mari philosophe et assyriologue, la vieille grand’mère au cœur d’or, à la morale suivant la nature, le jeune homme rangé, méthodique, ponctuel, qui tient en ordre et inscrit sur son carnet ses affaires de cœur, comme ses relevés de comptes, avec le numéro des bagages et l’horaire des trains. Et la situation, à un certain moment, devient des plus scabreuses, puisque la toile tombe au second acte sur une nuit de noces avant les noces. Mais cela est présenté avec un tel air d’innocence qu’il faut, pour en être choqué, y mettre de la réflexion et de la mauvaise grâce. Dumas fils disait que l’art du théâtre est l’art des préparations : entendez par-là qu’il faut mettre le spectateur dans un état d’esprit approprié à l’effet qu’on veut produire sur lui. Alors tout passe, tout porte, tout mot fait balle, toute phrase prend une valeur, toute remarque un relief inattendu. Les auteurs de la Belle Aventure savent disposer le spectateur de telle façon que chaque réplique, — qui est la réplique attendue, voulue, désirée, — est accueillie par une fusée de rires, et qu’un personnage ne peut pas dire : « Dieu vous bénisse ! » sans mettre toute la salle en joie. C’est une atmosphère de gaieté, d’émotion à fleur de peau, d’ironie facile et d’allégresse.

Là aussi une artiste a pris pour elle la plus grande part du succès : Mme Daynes-Grassot, en réalisant une exquise figure de vieille, a été le charme de cette soirée. On ne saurait dire tout ce qu’elle a mis dans