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Duc-de-Bourgogne de quatre-vingts canons, battant le pavillon amiral, Rochambeau ajoute de temps en temps quelque paragraphe à un long rapport qui est une sorte de journal, assurant le ministre, quinze jours après le départ, que tout continue de bien aller : « Je ne crois pas qu’il y ait d’autres malades que ceux qui le sont de la mer, parmi lesquels le marquis de Laval et mon fils jouent le principal rôle. » Il prépare ses instructions pour le débarquement des troupes.

Sur les navires de moindres dimensions, la vie était plus dure, et de nombreux tableaux, peu flattés, nous en sont parvenus grâce aux journaux tenus en si grande abondance par les officiers de l’armée, celui en particulier de ce jeune capitaine au Royal Deux-Ponts, Louis, baron de Closen, futur aide de camp de Rochambeau. On le voit confesser au début, mais sans excès de sentimentalité, qu’il eut un moment le cœur serré à l’idée d’une absence qui pourrait être longue, et de sa séparation surtout « d’une charmante jeune fiancée, remplie d’esprit et de grâces… Il fallait cependant, dit-il, prendre son parti, car mon état ne permet pas de se laisser entraîner par trop de sensibilité. Me voilà donc entièrement résigné. » Sa compagnie prit passage sur la Comtesse-de-Noailles de trois cents tonneaux (l’Écureuil n’en avait que cent quatre-vingts ; notre moderne France en a vingt-cinq mille ; chaque officier avait reçu cinquante francs extra pour se munir de ce qui lui conviendrait en vue de la navigation et jugea que c’était peu ; mais trouva que c’était beaucoup quand il voulut caser à bord ses emplettes ; enfin « après bien des peines, paroles (écus par-ci par-là), chacun de nous parvint à se procurer ses petites commodités dans ces sabots tant détestés. » Closen, pour sa part, s’était muni de « sucre, citrons et syrops en quantité. »

Il y a quarante-cinq hommes d’équipage « dont moitié Bretons, moitié Provençaux, » qui, parlant leur dialecte et peu « accoutumés aux commandemens de leurs officiers mariniers, » les comprennent imparfaitement ; d’où fausse manœuvre qui envoie la Comtesse-de-Noailles en plein dans le Conquérant. Grand émoi ; va-t-on les laisser derrière et manqueront-ils l’expédition ? Par bonheur « il n’y eut que le beaupré, les chaudières et la figure de la charmante comtesse qui furent mis en morceaux. » On répare en toute hâte. M. de Deux-Ponts (le colonel du régiment) promet quinze louis aux ouvriers, si le