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volonté sûre. Enfin le gouvernement anglais a généreusement ouvert ses archives, de sorte que, tant par les récriminations publiées à Londres après le désastre, que par les dépêches maintenant accessibles, on peut savoir ce qui se disait dans New York et hors de New York, dans les redoutes de Yorktown et dans les tranchées françaises et américaines entourant la place.


I

Le lieutenant général Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, âgé de cinquante-cinq ans, l’aîné de Washington de sept années, était dans sa maison de Paris au commencement de mars 1780, malade et sur le point de partir pour son château de Rochambeau en Vendômois ; les chevaux de poste étaient prêts, quand il reçut la nuit, dit-il dans ses Mémoires, « un courrier qui lui apportait l’ordre d’aller à Versailles recevoir ceux de Sa Majesté. » Depuis quelque temps, le bruit courait que le grand effort allait être tenté ; la nouvelle lui en fut confirmée, avec celle qu’il aurait le commandement de l’armée envoyée au secours des Américains.

C’était une tâche extraordinaire. Il s’agissait de gagner le Nouveau Monde avec un corps d’armée entassé sur de lourds transports, d’éviter les flottes anglaises, de combattre en pays à peu près inconnu, aux côtés de gens qui ne l’étaient pas moins, en qui, jusqu’à une époque toute récente, nous avions vu des ennemis et non des alliés, et pour une cause qui jusque-là n’avait guère rencontré d’adhérens à Versailles, celle de la liberté républicaine.

Ce dernier point était le plus surprenant de tous, tellement que même les Indiens amis de la France qui vinrent visiter Rochambeau à son campement de Newport lui demandèrent comment il se pouvait faire qu’un roi aidât les sujets d’un autre roi révoltés contre « leur père. » C’est, répondit Rochambeau, que ce roi a été un père dénaturé, et que le nôtre a jugé de son devoir de « protéger la liberté naturelle que Dieu a donnée à l’homme. »

Cette réponse à « messieurs les sauvages » est caractéristique ; elle montre quelle force latente surmonta les obstacles et comment notre nation put demeurer, du commencement à la fin, fidèle à la cause américaine, approuver un traité d’alliance