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transcendance : elle ne trouve un point d’appui qu’en Dieu. La conscience est comme le cœur : il lui faut un au-delà. Le devoir n’est rien s’il n’est sublime, et la vie devient une chose frivole si elle n’implique des relations éternelles… Une morale n’est rien si elle n’est pas religieuse…


Mais il ne s’en tenait pas là ; et choisissant, d’un point de vue tout spéculatif encore, entre les diverses formes religieuses, il manifestait nettement, pour des raisons morales et sociales tout ensemble, sa préférence à l’égard du catholicisme.

On sait le reste, et comment une adhésion, simplement philosophique et toute théorique, est devenue peu à peu une adhésion engageant la foi personnelle et intime. Alors que la génération précédente s’était développée tout entière et jusqu’au bout en dehors de l’idée religieuse, la génération de 1870, par quelques-uns de ses principaux représentans, — pour ne rien dire ici de quelques autres, les Coppée et les Huysmans, par exemple, — n’a pas cru devoir imiter cette réserve. « En vain, disait Brunetière, a-t-on voulu écarter la question : elle est revenue ; nous n’avons pas pu, nous non plus, l’éviter ; et ceux qui viendront après nous ne l’éviteront pas plus que nous. »


VI

Ce n’est pas que, sur la question religieuse, nos aînés n’aient été partagés encore, et l’on sait de reste que tous n’ont point suivi Brunetière et AI. Bourget. Celui d’entre eux qui s’est montré le plus résolument hostile à ces nouvelles tendances, c’est M. Anatole France. Etant de tous le plus âgé, il était d’ailleurs assez naturel qu’il restât de tous le plus engagé dans l’esprit de la génération précédente. Si, un moment, on a pu le croire assez détaché des idées qu’il avait héritées d’elle, il s’est vite repris, et, depuis quinze ans, son anticléricalisme théorique et pratique n’a connu aucune défaillance. Renan lui-même, le dernier Renan, eût-il souscrit à toutes les déclarations auxquelles, sur ce chapitre, le biographe de Jérôme Coignard s’est laissé entraîner ? On en peut douter. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’elles eussent vivement scandalisé le dernier Taine.

Le cas de M. France a été, d’ailleurs, isolé parmi ses contemporains. Ceux-là mêmes dont les tendances se rapprochaient le plus des siennes, ont été trop préoccupés du problème moral pour ne pas sentir qu’à combattre les idées religieuses,