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« Tout est fini pour moi. Que ne suis-je mort à ses côtés ; que n’ai-je pu verser mon sang pour elle, pour eux ! Je n’aurais pas à traîner une existence qui sera une douleur perpétuelle et un éternel regret. Mon cœur désormais saignera autant qu’il battra…- Pleurez avec moi, ma tendre Sophie. Pleurons sur eux. Je n’ai pas la force d’écrire davantage. Je viens de recevoir la terrible confirmation de l’exécution. On ne parle pas du reste de la famille, mais mes craintes sont affreuses. Oh ! mon Dieu, sauvez-les. Ayez pitié de moi. »

Il faut finir sur cette lamentation, non, cependant, sans faire remarquer, avec M. de Heidenstam, qu’à travers la correspondance qu’elle dramatise d’une manière si déchirante, il n’est pas une ligne, pas un mot qui autorisent à croire que le comte de Fersen a jamais songé « à faire descendre la Reine de France du haut piédestal où son amour chevaleresque l’avait placée, » ni qu’elle-même ait entrevu la possibilité de donner d’elle à cet amoureux platonique autre chose que son cœur. « Si vous LUI écrivez, mandait-elle en 1791, au comte Esterhazy, dites-LUI bien que bien des lieues et bien des pays ne peuvent jamais séparer les cœurs : je sens cette vérité tous les jours davantage. » C’est sous cette forme qu’ils se sont aimés et sont restés jusqu’à la fin fidèles l’un à l’autre et, à moins que l’on ne nous apporte une preuve du contraire, c’est cette conclusion qui s’imposera à l’impartiale postérité.


ERNEST DAUDET.