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maures sous leurs dômes de nattes ? Et ces marchandes assises, sur leurs talons, devant les façades roses, avec leurs étalages de petits morceaux, de menues bûches, de tas minuscules ? Et celles qui entrent dans la bâtisse ensoleillée de la factorerie pour hésiter entre les calicots de Hollande ? Ces Maures, semblables aux images des quatre évangélistes, ce nain au torse et à la tête de géant, aux jambes de basset, qu’on a vu près de ses molosses, sur les vieux tableaux espagnols ? Ces vieillards, un peu trop foncés peut-être pour ressembler aux sept sages de la Grèce ? Ces sauvages de Robinson Crusoé ? Ces porteurs d’eau vêtus d’une tunique en loques comme les mendians autour de Diogène, et qui offrent les vingt-cinq titres de leur outre pour trois centimes, en dépit de leur fatigue ruisselante ; alors que la livre de riz en coûte vingt ? Ces jeunesses à marier qui arborent, en plus des trois houppes, une autre sur la tempe droite ? Ces filles au nez fin, contentes de la galette en cheveux tressés qu’elles gardent sur le crâne, sans compter les cadenettes accompagnant un minois de modiste parisienne qui aurait, par gageure, ramoné une cheminée de novembre ? Ces hétaïres arabes, drapées de voiles bleus, comme la Sainte Vierge ou Marie de Magdala, et qui ruinent les négocians marocains par le faste lourd de leurs bijoux puniques, syriens, cachés sous la cotonnade ? Cette marmaille vêtue d’un fil de cauris sur les hanches, premier livret d’épargne, ou drôlement parée de dalmatiques en toile à torchon ; promesses nombreuses pour l’avenir ? Tous ces gens que nous avons étonnés par les invraisemblables courages de nos soldats, par les miracles de nos sciences, se montreront-ils les disciples reconnaissans des civilisateurs ?


VII. — LES CIVILISATEURS

Problème encore insoluble à cette heure, et que, sans cesse, discutent les officiers de Tombouctou, tantôt avec M. Dupuis, l’observateur assidu des mœurs songaïs, l’inspirateur de tous les écrits concernant sa ville, tantôt avec M. Bonnel de Mézières, le chercheur érudit des manuscrits arabes, le diplomate de notre influence parmi les tribus sahariennes, l’élégant cavalier qui n’omet rien du dandysme actuel, pas même les joues rasées sous la moustache en brosse. Casqué, botté, il trotte, par les rues sablonneuses, selon les règles du meilleur raffinement que