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la suprématie de la foi, qui est justement ce qu’ils nient. Ce serait folie de compter sur les ennemis du Christ, fussent-ils des esthètes, pour maintenir intégralement un édifice qui est la figure et la pensée, l’expression même du Christ.

Ce serait folie, mais cette folle idée, je la distingue chez un grand nombre de mes collègues, et si l’on regarde bien, elle éclate de toutes parts dans le pays. Il y a nombre de communes pour tenter de la réaliser. De tous côtés des maires prétendent enlever au curé son droit de jouissance exclusive. On en a vu prescrire des sonneries civiles à la pointe du jour, à midi, à la tombée de la nuit, afin de supprimer les sonneries de l’Angélus qui ont lieu à ces mêmes heures ; autoriser les sonneries pour les obsèques civiles, pour les baptêmes civils, pour les fêtes municipales, pour l’heure des repas, pour la reprise des travaux des champs, pour les réunions du conseil municipal, pour l’appel des enfans à l’école, pour l’ouverture ou la fermeture du scrutin ; permettre à toute personne de faire sonner les cloches, moyennant un salaire au sonneur, pour des cérémonies privées ; enfin réduire le nombre des sonneries religieuses, voire les interdire tout à fait. On a vu un maire faire ouvrir par un serrurier la porte de l’église, y introduire un convoi funèbre, et procéder à un simulacre d’enterrement religieux. On a vu ailleurs les offices célébrés par un prêtre interdit. Et il y a des tribunaux à Rodez, à Château-Chinon, à Nérac, pour approuver ces abus de pouvoir. Sans doute, la jurisprudence jusqu’à cette heure a rectifié ces empiétemens, a maintenu l’usage de l’église aux seuls prêtres, mais la prétention subsiste en doctrine et aspire à triompher. Qu’est-ce que je vous disais donc, qu’on aime les églises ? On se les arrache.

Sommes-nous là devant un mot d’ordre de l’anticatholicisme, ou devant des volontés spontanées et convergentes ? Je n’en sais rien, mais cette vue qui m’est ouverte sur le désir de certains anticatholiques de s’installer dans les églises, avive mon impatience de connaître la pensée politique de nos gouvernans. Que veulent les pilotes qui dirigent notre navigation sur cet océan de haine ?

A maintes reprises, j’ai essayé d’interroger le nouveau ministre de l’Intérieur, M. Steeg. Il est fuyant, pressé, distrait, obscur. Je ne vois ni ses yeux ni ses intentions. Je ne vois que sa retraite derrière une épaisseur de silence et de phrases