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décoratifs. Les terrains vagues ont été acquis et couverts d’édifices. Aux paillotes ont succédé ces maisons construites selon l’art méditerranéen, et semblables à celles de Pompéi. Par les rues au cordeau, le touriste erre, heureux de saluer un ornement de la Cyrénaïque byzantine, telles ces minuscules arcades en relief modelées dans la glaise sur une maison voisine du marché aux branches sèches.

Réserve faite pour la différence des matériaux etleur aspect, on goûte les mêmes joies que procure la flânerie dans une rue médiévale de notre Limousin, de notre Bretagne, de la Vénétie même. Depuis le XIIe siècle, les souvenirs se sont accumulés aux carrefours. L’esprit le moins apte à l’évocation peut s’offrir, de place en place, les réminiscences suggestives. N’est-ce pas un pèlerinage riche en émotions de pensée, celui qui mène au Puits de la Vieille, aux trois mosquées de Dyinguer-Beer fondée par l’empereur Kankan Moussa, de Sancoré, bâtie par les philosophes sahariens, de Sidi-Yahia, dédiée au grand saint de l’époque marocaine ? Les demeures des lettrés musulmans qu’habitèrent le major Laing, René Caillé, le docteur Barth, le docteur Lenz, comment les visiter sans dévotion ? Enfin saurait-on parcourir froidement les forts construits sur les deux points que le lieutenant Boiteux choisit pour ses canons-revolvers, et où il posta ses dix-huit hommes divisés en garnisons capables, aussitôt, de battre, au pas de course, les Touareg vainqueurs de l’enseigne Aube et de sa troupe, sur la route de Kabara ?

Et cette foule antique ? Foule que toisent encore les fils en tuniques bleues des Numides, ces « Barbares » de Scipion, les Berbères. Foule aux types de sémites hyksos et carthaginois. Foule de pasteurs méditerranéens tels que les décrivirent les Bibles israélites, les bucoliques grecques et latines. Foule qui nous entoure de Didons, de Barcas, de Jugurthas et de Massinissas, de Davids et de Bethsabées, de Corydons et d’Alexis ; sans compter les fils lippus des guerriers Songaïs et Mandingues ; sans compter leurs sœurs à trois houppes qui façonnent, en plein air, de la poterie, ou leurs sœurs à cimiers, qui broient, au pilon, l’indigo de leurs teintures, dans les enceintes en paillote de leurs fermes. Cette foule est une résurrection surprenante des siècles enfouis sous les vestiges des cités mortes, jadis, au bord de la Méditerranée sémite, libyenne et latine.

Fidèle aux revendications de toutes nos plèbes, cette