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et s’en fît un masque. Il n’y aurait plus qu’à mourir noblement, à bondir baïonnette au canon, en diables inexorables. Souvent, par cette sorte d’attaque, nos tirailleurs mirent en panique bien des Berbères vainqueurs.

Ce qui ne les empêche pas de venir, au bout de randonnées follement audacieuses, parfois jusqu’au troupeau a l’abreuvoir, dans un faubourg même de Tombouctou, puis de repartir emmenant leur proie, avant l’alarme sonnée pour la garnison.

Elle veille pourtant sur cette grande ville apparue comme le port de la mer sablonneuse qui baigne, au Nord, Ghadamès la Tunisienne, Ouargla l’Algérienne, Figuig la Marocaine, et qui vient, au Sud, affluer contre cette silhouette longue, mauve et bleue de la cité aux mille terrasses, contre le minaret de Sidi-Yahia, la pyramide du Dyinguer-Beer, la tour de Sancoré et son clocheton où la voix du muezzin convoque ici les intelligences du Sahara.

En arrivant, les caravanes défilent sous l’angle d’un fort. Il guette les espaces, flanqué d’une redoute ronde, survivante unique des vieilles défenses marocaines. Méharis et spahis, dans l’intérieur de ces remparts, se tiennent prêts à la reconnaissance du désert ou à la poursuite d’un rezzou. L’artillerie ne semblait pas suffisante, en 1912, pour tenir à distance une armée d’assiégeans qu’annonçait, à Fez, la politique de nos ennemis. Le sable s’immisce dans les organes délicats des mitrailleuses ; il les met rapidement hors de service. Ce n’est pas l’arme convenable pour le Sahara ; mais de solides canons. Nos officiers les attendent impatiemment. En cas de guerre africaine ou européenne, en cas de révolte consécutive, Tombouctou deviendrait l’objectif immédiat de tous nos adversaires Maures, Touareg, Peuhls du Macina, et même Toucouleurs fidèles au souvenir d’El-Hadj-Omar. L’objectif de toutes les races que prêcheraient leurs marabouts soudoyés par tel ou tel agent des coloniaux germaniques. Aussi l’urgence est-elle indéniable de constituer, ici, une force centrale à grand rayon d’action. Dans l’état de choses actuel, lorsque nos méharistes partent vers Arouan et Taoudéni pour escorter la caravane annuelle, l’azalaï, trop peu de soldats demeurent dans Tombouctou. Il leur serait même difficile de maintenir l’ordre parmi les douze mille habitans, si l’émeute, appuyée par les Touareg du dehors, venait à brandir ses lances et ses glaives. Or les Berabichs campent la moitié du