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Chose vraisemblable, puisque les mêmes officiers instruisent ceux de Tombouctou et ceux de Nancy. Comment tel de nos dragons serait-il moins stoïque, en vérité, que ces tirailleurs dévoués à la mission du lieutenant Ranc et souffrant leur martyre d’écorchés vifs dans les sables d’Oualata, près de cet officier trapu, hérissé de cheveux noirs, candide en apparence, un peu mystique et capable de leur donner confiance en leur bravoure ?

Peu de choses valent mieux, pour notre esprit, que la promenade africaine aboutissant à ces dunes pâles où la sombre caravane tangue sur les jambes de ses dromadaires en file avec les quelques soldats masqués, enveloppés, avec le génie de ses chefs blancs. Une seule âme vit dans ces corps tapis sur les bosses des bêtes solennelles. Au premier signe d’une main levée, le cortège s’arrête ; les hommes glissent à bas. Ils se rassemblent. Ils s’en vont, ligne de tirailleurs baissés, l’arme au poing, vers la dune que leurs pieds nus escaladent prudemment. Un nouveau signe les fait tous s’enlizer, invisibles aussitôt, derrière les touffes et les épineux. Manœuvre obtenue enfin, malgré la répugnance de leur orgueil à se cacher. Cependant le goum est parti courbé sur les encolures de ses méharis qui allongent leurs foulées vers la droite, afin de tourner rapidement l’adversaire et de saisir le convoi de prise, dans le fond du val sablonneux où probablement les nomades se dissimulent. L’action s’engage. Nos sergens français, barbus comme les anciens sapeurs, emmènent les sections par les flancs qu’ils étendent ainsi. L’œil du touriste n’aperçoit rien, dans la pâleur moirée de ce désert, ni entre les arbustes rabougris et poussiéreux que couronnent, de-ci, de-là, les crêtes des grandes houles. En arrière, tout près, il y a une bande de chamelles nues, tantôt prétentieuses, tantôt peureuses, et qui embarrassent leurs jambes trop hautes dans leurs chamelons bossus, si mal articulés pour soutenir les serpens de leurs cous. Il y a, derrière les moutons gris de la colonne, un berger nègre à demi nu, le litham contre la face et un chiffon autour du crâne. Et voilà tout, dans l’espace immense comme une merde vagues immobiles qui vont se remettre sans doute à crouler, à grandit en mugissant.

Laissées, les bêtes de la caravane forment à elles seules un paysage de jambes tendues sous l’échine et les charges de barils,