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attachèrent leurs armes sur les méharis. Ils souffrirent à la façon des écorchés vifs. Quelques-uns délirèrent. Il fallut les ligoter sur les montures des blancs qui continuèrent la route à pied. Les vivres et la boisson manquèrent absolument, vingt-huit heures, pendant lesquelles on dut marcher sans une halte, à moins de se laisser mourir. Au but, sergens et tirailleurs burent et mangèrent trois heures durant. Cinquante-six dromadaires sur deux cents subsistaient. Pendant le retour, des tirailleurs exaltés à nouveau, par les tortures de la soif, crevèrent les outres de réserve à coups de baïonnette. Les indigènes du goum disparurent.

Vers la même époque succombèrent, plus à l’Est, sous les balles des Berabers, le lieutenant Le Lorrain, et l’agent des affaires indigènes Rossi, abandonnés par leurs auxiliaires Kountas, qui ne se jugeaient pas assez nombreux pour l’attaque du rezzou, mais qui demeurèrent aux environs prêts à recueillir les Européens et leur vingtaine de tirailleurs. Ces Berabers, avaient volé sept cents chameaux à nos tribus amies. Ils prétendaient faire boire tous les animaux avant de repartir vers le Nord ; opération pouvant durer trois jours. Selon le chef de notre goum, la prise était trop belle pour que nos adversaires ne la défendissent pas furieusement ; et ils comptaient parmi eux des tireurs célèbres, retranchés derrière une digue de cailloux. Les deux Français crurent qu’en les voyant combattre avec les tirailleurs, aucun des Kountas n’oserait faillir a ses promesses. Le signal de combat fut donné. Aux premières salves, le lieutenant et l’agent s’affaissèrent, choisis comme cibles par les feux convergens des Maures.

Alors les Kountas firent signe aux tirailleurs de se réfugier derrière le goum, qui certainement eût assuré la retraite. Un fait se passa, magnifique et digne d’être conté à tous les enfans de nos écoles. Cette vingtaine de héros refusa le salut. Un à un, ils tombèrent sur les corps de « leurs blancs. » Incomparable exemple d’honneur et de courage militaires.

Quels hommes inspirèrent donc cet excès d’honneur aux fils des chefs soudanais qui rallient notre bannière de civilisateurs ? Haut, sec, sous les blancheurs des amples culottes turques, de son dolman étroit, tout en barbe noire autour d’un profit aquilin, le lieutenant Galet-Lalande, comme le capitaine Pasquier son ancien commandant, excelle dans la conduite des