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les hommes voilés s’arrêtent. Ils se groupent habilement sur les dunes. Ils se terrent. Ils ajustent trop bien, maintenant, nos tirailleurs. De dunes en dunes, les tirs se répondent. Le combat dure ; mais quand se prononce le mouvement tournant qui couperait la route des puits, ou séparerait de ses ravisseurs le troupeau dérobé, ceux-ci regrimpent sur leurs rallahs. Ils disparaissent à nouveau dans la nuée de poussière avec les fusils qui brillent, les blancheurs éclatantes des étoffes. Plus loin on trouve les chameaux ouverts dont l’estomac plein d’eau fut vidé par la soif des fugitifs. Vieux procédé saharien qu’employaient autrefois les caravanes. Même, elles emmenaient un nombre d’animaux destinés à servir d’outrés ambulantes, et qu’on abreuvait longuement, au dernier puits précédant la zone du désert la plus aride. La langue leur était aussitôt coupée, de telle sorte qu’ils ne pussent ruminer, ni troubler le liquide inclus dans leur panse. Si la provision d’eau s’épuisait avant qu’on eût atteint la région de l’autre puits, le sacrifice de ces dromadaires permettait l’apaisement relatif de la soif et de ses démences.

On comprend les péripéties de ces poursuites dans le décor que voici, tout vallonneux et montueux, comme une mer pâle a grandes houles, entre lesquelles un convoi, des escadrons peuvent, invisibles, défiler. Sachant mieux le terrain que nos guides, les pillards arrrivent à se dérober parfois, même si le besoin de s’alléger les oblige à jeter, sur leurs traces, les rallahs, les outres vides, les couvertures, les bois de campement. Car les méharis de nos tirailleurs se fatiguent aussi. La réserve de boisson ne tarde guère à diminuer, les noirs du Soudan et du Sénégal ne pouvant se désaltérer qu’avec des quantités très supérieures à celles indispensables pour les nomades.

Après une tornade qui détermina l’évaporation de l’eau dans les outres, pendant une trentaine d’heures, le lieutenant Ranc connut, en juillet 1912, la traversée du désert la plus pénible. On ne rencontra qu’une mare contenant cent trente titres de liquide magnésien, pour deux cents hommes. Six jours de marche furent inéluctables avant d’atteindre le puits le plus proche et son poste. L’épiderme se gerçait, se fendillait, craquait. La privation d’eau et le mouvement au soleil déshydratèrent la peau. Elle devint sensible autant qu’une muqueuse à nu. Les tirailleurs ôtèrent leurs vêtemens, puis leurs chéchias. Ils