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propos dans les groupes aux longs plis, devant les marchandes songaïs, les Bambaras aux lèvres bleues qui état aient leurs fruits à terre, devant les huttes de paillassons sous lesquelles maures et diaoulas déployaient leurs cotonnades européennes, les burnous algériens, les gandouras marocaines, les dissas soudanaises, les costumes de noces et de fêtes, tous les vêtemens de riches, avec les parfums de l’Orient méditerranéen, les harnais, les selles de Fez. Car, là, s’entretiennent les courtiers qui savent la mesure exacte des grains emmagasinés, le dénombrement des troupeaux en pâture dans les brousses les plus voisines, et le cours des vivres. Rien n’arrivait plus de Kabara, ni du Nord où les moutons broutent dans les environs des lacs, les Touareg campant ici et là. On prévoyait la disette. Les chalands et leurs canons allèrent, de nuit, se ravitailler par le marigot de Kabara. Ils revinrent non sans avoir mitraillé les Kel-Antassar qui s’étaient, en nombre, massés sur les rives du marigot les moins distantes.

Les dix-huit matelots continuaient à maintenir l’empire de la France sur une cité de six mille âmes, sur une région parcourue par un millier d’ennemis. Ennemis redoutables.

Cinq jours plus tard, leur attaque nocturne anéantissait près de Tacoubao une compagnie et un peloton de la colonne Bonnier parvenus, la veille, à Tombouctou. Un officier, deux sergens, quelques hommes échappèrent seulement au massacre rapide et complet qui suivit la charge furieuse de cinq cents Touareg contre le bivouac des troupes en reconnaissance. Soixante-neuf tirailleurs et onze Européens, dont le colonel, périrent égorgés à l’arme blanche. La colonne Joffre, un mois plus tard, ne retrouva que treize squelettes sur la dune de Tacoubao. On les transporta à Tombouctou. Autour de leurs tombes s’édifia l’imposante masse du fort Bonnier, avec ses bastions du Sud, ses murs crénelés, ses remparts, ses casernes, son camp d’où partirent les vengeurs qui purent châtier, non loin des lacs, les vainqueurs d’une nuit. En lignes sévères aussi, cet ensemble est prolongé, vers l’Est, par le tribunal d’aspect romain, et, vers l’Ouest, par les deux palais, face à face, de l’administrateur, du colonel commandant le cercle. Ensemble qui domine la partie méridionale de la ville, enferme l’animation du marché, rejoint la vieille mosquée Dyinguer-Ber et sa pyramide, limite occidentale de ces quartiers.