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lui aussi ses envoyés, créés non du souffle de son esprit, mais de sa chair et de son sang ; la souche charnelle d’où naissent et se perpétuent étiolés et déformés les prophètes du prophète : les descendans de Mahomet.

Regardez la campagne : elle ressemble à celle qu’a chantée Hésiode, elle semble n’avoir d’autre histoire que celle des travaux et des jours. C’est l’aspect de la terre antique, c’est-à-dire jeune, née d’hier. Elle ne porte pas plus la trace d’une histoire que ne la portent les flots de la mer, que les étraves des navires, aiguës comme les socs de charrue, labourent en vain. Et pourtant le sceau musulman est là. Le petit douar est sans mosquée, mais où que vous soyez, si déserte que soit la plaine, toujours ou presque toujours vos yeux seront arrêtés par la vue d’un petit édicule blanc, carré, fait de pierres unies, coiffé d’un petit dôme. C’est là, sous ces pierres, qu’il est le prophète du Prophète, celui par qui l’invincible religion primitive toujours et renaissante s’est reliée au fil islamique. Il dort dans son tombeau sous la coupole blanche. Figure défigurée d’une figure, il n’a eu qu’à se montrer, qu’à s’offrir, et les hommes se sont emparés de lui, vivant, et, mort, de sa mémoire. C’est à travers lui qu’ils retournent au culte de la nature et des esprits, plus facile à concevoir que l’idée pure du Dieu jaloux. Cette figure d’une figure, tantôt pure et tantôt corrompue, utile ou néfaste, instrument de vertu ou jouet dangereux des passions et des hasards : c’est le marabout.

Autour de ce petit tombeau qui, de loin, ressemble à un puits, un point d’eau pour les caravanes, toutes les âmes s’assemblent, prennent conscience de leur force, de leur fraternité, et prêtes qu’elles étaient à se disperser en croyances vagues, elles se reconnaissent et, d’un élan, toutes ensemble, les yeux sur le paradis du Prophète, promis par son descendant, elles se précipitent violentes, fanatiques, dans le système musulman.

Maintenant nos yeux ne nous diront plus rien ; ils sont pleins de l’étrange contraste : la prière qui monte pure et probe cherchant celui dont elle prononce le nom unique, et la prière qui descend au monde secret des djnounn, des sorciers, des esprits, des talismans, des branches d’oliviers, des sources, des pierres mêmes. Ouvrons les livres, suivons, continuant à vouloir voir, les traces de ces explorateurs spirituals qu’un long et