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de poussière, le bourdonnement acharné se poursuit : le nom du Prophète, maître des âmes, c’est la dernière rumeur de la vie. Nulle expression de douleur ou de regret. Nul nom sur la tombe. Une vie déjà oubliée entre dans ce néant glorieux où se consument les poussières. Avec hâte, avec une sorte de joie ascétique, la petite assemblée d’hommes s’en retourne, se disperse. Les plis du cimetière ondulent, nus et monotones comme les sillons dans les champs, après la moisson. La vie est brève, la mort est un instant, les hommes passent et se renouvellent sans plus laisser de trace que les jours. C’est Dieu qui emplit le monde. Dieu est Dieu. Sous sa loi inflexible l’homme naît, prie, se soumet et meurt.

Ainsi, si nous entrons pas à pas dans ce monde étranger à nos yeux, si nous cherchons à nous en faire une idée, née de ce que nous voyons, la première notion que nous en aurons c’est qu’il est régi par un culte rigoureux et simple, presque abstrait, qui laisse l’homme face à face avec son Créateur. Deux noms souverains y sont sans cesse prononcés : Allah, Mahomet. C’est comme le battement éternel d’une cloche. Gravité, noblesse, impassibilité : ces mots sont revenus sans cesse sous nos plumes, comme ils reviennent encore sans cesse à l’esprit, devant cette domination religieuse qui gouverne les vies. Mais si on fait encore un pas on s’apercevra que les beaux rites impassibles font aussi partie du tableau vivant. C’est comme si d’un peuple on n’avait vu, du dehors, que son armée : les profondes phalanges pareilles, toutes pliées à la même discipline, toutes formées pour l’attaque et la défense. Mais avez-vous, dans la petite ville musulmane, fait une installation sommaire ? Et êtes-vous retenu par une fonction ou par l’indolent plaisir du touriste ? Avez-vous accroché au passage un peu de langue arabe ? Êtes-vous entré en intelligence avec une femme qui vient vous porter des fleurs, des oranges ? Avez-vous dit un jour à cette femme : « Comment t’appelles-tu ? As-tu des enfans ? Puis-je aller à ta maison ? » Si vous avez marché derrière elle, par les chemins secrets que ses pas ont tracés dans la plaine, alors, combien tout est différent, avec quelle soudaineté le voile se déchire ! C’en est fait de l’impassibilité et du mutisme musulmans. Enfin, vous la tenez, la créature vivante qui se débat dans la vie véritable ! Son mutisme, c’est une de ses armes de défense. Si, femme, vous gagnez la confiance d’une femme, vous serez surprise de la volubilité