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sous silence, l’a-t-il résolue ? En droit, oui, mais en fait ? La situation reste délicate et embarrassante. Ces îles sont en ce moment occupées par l’Italie qui doit les évacuer dès que la Turquie aura pleinement exécuté le traité de Lausanne, en d’autres termes, lorsqu’elle aura retiré de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque le dernier de ses soldats. Après quoi, ces îles ne reviendront à la Porte que pour être cédées à la Grèce. Dès lors l’esprit, inévitablement, s’interroge et se demande, puisque ces îles sont dans toutes les hypothèses perdues pour elle, si la Porte a plus d’intérêt à ce qu’elles soient détenues par l’Italie qui ne les a qu’à titre précaire, ou par la Grèce qui les aurait à titre définitif. Ce qui vient de se passer à Andrinople, — nous en parlerons dans un moment, — montre que la Porte ne renonce à rien et n’en désespère jamais, et on ne peut pas dire que les faits lui donnent tort. Si elle juge préférable pour elle que les îles restent à l’Italie, qui l’empêchera de laisser indéfiniment quatre hommes et un caporal en Lybie ? Sera-ce l’Italie ? Peut-on compter absolument sur l’inexorable énergie avec laquelle cette dernière exigera l’évacuation complète et rapide de la Tripolitaine et prendra des mesures en conséquence ? De pareilles questions font rêver : elles sont si complexes ! En attendant, l’Italie est très forte sur le terrain diplomatique pour dire, et elle ne manque pas de le faire, que les îles étant dans ses mains, le seul gage qu’elle ait de l’exécution du traité, elle ne saurait s’en dessaisir avant que cette exécution soit parachevée : il est bien entendu qu’à ce moment elle ne manquera pas de restituer le gage. Cette situation ne pouvait pas manquer d’exercer toute la souplesse d’intelligence et même toute la subtilité de sir Edward Grey. Il a commencé par dire que la question intéressait l’Europe tout entière, mais il n’a pas caché qu’elle intéressait plus spécialement l’Angleterre. « En vertu de notre position méditerranéenne et de considérations navales, il est, a-t-il dit, de notre intérêt particulier qu’aucune des îles de l’Egée ne soit réclamée et conservée par l’une des grandes puissances. Si l’une de ces îles passait d’une manière permanente en la possession d’une grande puissance, des questions d’une extrême importance et d’une extrême difficulté seraient soulevées : les grandes puissances le sentent bien. » Sans doute elle le sentent, mais elles ont senti successivement tant de choses dont il a été tenu peu de compte depuis dix mois, qu’on n’est pas bien sûr qu’il y ait là une garantie suffisante. Sir Edward Grey, est-il besoin de le dire ? ne met pas un instant en doute la loyauté de l’Italie et personne ne peut le faire ; mais il ne s’agit pas de l’Italie, il s’agit de la Porte, et le ministre anglais se